Lorsqu’on a découvert que Limite était aussi une société de magazines porno, on s’est dit qu’on avait vraiment choisi le bon titre. Un certain Franck Vardon, fondateur de Hot Video, déposa la marque en 1996, avant de la léguer à son épouse, Tabatha Cash, ancienne star du X, animatrice sur Skyrock et chroniqueuse à Canal+. Cette rencontre avec le show-business en culotte de cuir a confirmé notre intuition. Le mot « limite », désormais, ne s’envisage plus que dans son abolition prochaine. La transgression elle-même est devenue la règle. « Toujours plus ! » Trash et cash : la surenchère, c’est la loi du marché.

À l’origine, « limite » (du latin limes) signifiait sentier, sillon, trace. La liberté était en elle : chemin à suivre, non pas muraille à franchir. L’illusion du Progrès a renversé la perspective. La limite n’est plus la borne salutaire, le repère familier jalonnant la voie, mais l’obstacle insupportable qu’il faut sans cesse repousser. Ces routes sinueuses qui échappaient aux vigilances du Prince, voilà que l’ère technocratique les a transformées en autoroutes rectilignes sous vidéosurveillance. Souriez, vous êtes fliqués !
Publicité, législation, accords internationaux : votre émancipation devient affaire d’État. Jouissez, on
s’occupe du reste. Et que ça file droit ! Une envie frustrée ? Vite, un rapport de la CEDH. Une ambition
bridée ? Vite, un traité de libre-échange. TAFTA, GPA, euthanasie : les plus hautes instances se chargent de briser toutes les limites qui empêchent le consommateur de faire ce qu’il veut. Ce consommateur qui souhaite une boutique pour chaque plaisir, une technique pour chaque désir, et la loi pour le bénir.
Curieuse liberté que celle suggérée par le marketing, réalisée en laboratoire, avalisée par le pouvoir.
Quand « No limit ! » devient le mantra des médias, des scientifiques et des industriels, l’ultime subversion ne réside-t-elle pas dans le sens de la mesure ? Terrible sobriété, dont tous peuvent profiter sans concurrence, que ne peut contrôler aucune machine à plaisir, et dont ni l’État, ni le marché, ni la technique ne peuvent s’emparer.
Un anarchisme conservateur en somme, aussi bien de notre dignité que de notre planète. « Tout est
lié », martèle le pape François dans Laudato Si’. Face au « culte du pouvoir humain sans limites », une
« conversion écologique » s’impose. La « démesure anthropocentrique », « la frénésie mégalomane »
dévastant autant nos sociétés que la biodiversité, notre écologie ne peut qu’être intégrale : indissolublement sociale et environnementale, éthique et politique. À cet égard, la prochaine Conférence Climat risque d’être bien vaine si à certaine décroissance matérielle ne se conjugue pas un renouveau spirituel radical. Émerveillement devant la Création, insurrection contre le techno-productivisme. Combat vital, urgent, indissociable, si nous voulons que notre maison commune ne
soit pas la bourse du commerce et de la concurrence, mais le foyer du partage et de la communion.

La rédaction