Co-fondateur de la revue, Camille Dalmas nous offre un ultime témoignage en guise d’adieu. Pour le journaliste au Vatican, Limite a tantôt divisé, tantôt réuni. Mais le plus important, à l’heure du bilan : Limite a semé.

En mai 2015, Limite n’existe pas encore. La petite équipe fondatrice rumine son impatience. Voilà près d’un an qu’elle prépare le grand lancement de cette revue. On l’annonce à l’automne… Et soudain, voilà Laudato si’ ! L’encyclique « verte » arrive à point. Elle suscite un vrai engouement chez nous, colle sur tous les points à ce qu’on veut défendre, c’est une sorte de condensé de l’esprit de la revue. Je revois parfaitement Paul, l’air bravache, expliquer à un éditeur parisien un peu blasé que le pape François est notre « meilleur attaché de presse ». Ce pontife venu du bout du monde, celui qu’on peut vraiment dire nôtre parce qu’il est celui de notre génération, a joué son petit rôle dans le succès de Limite.

Tant d’échanges fructueux entre personnes qui au premier abord ne pouvaient pas réfléchir ensemble ont été rendus possible par Limite.

Camille Dalmas

Et c’est par un heureux hasard de circonstances que je me retrouve à Rome, sept ans après, dans les pattes du « meilleur attaché presse de Limite ». Comme journaliste, je le suis à la trace, partout : la plupart du temps dans le microcosme du Vatican ; parfois en des contrées inattendues, la dernière en date étant le Kazakhstan. Depuis Rome, et sept ans après Laudato si’, je constate que beaucoup de choses ont changé. Le discours du pape, pendant ces années, a porté bien loin, là où on ne l’attendait pas. Quelque chose a bougé. L’écologie est aujourd’hui vécue et prêchée bien au-delà de l’Église. Chez les catholiques, ce même discours sur l’écologie intégrale ne bouscule en revanche plus autant. Il divise même certains catholiques entre disciples zélés de l’écologie intégrale et opposants farouches à Bergoglio. Une partie du troupeau n’a pas digéré le message et y est franchement hostile. Et beaucoup sont aussi indifférents, lassés, passés à autre chose… Une des grandes réussites de Limite aura été de réussir à secouer les paresses des uns et à parler au-delà des clivages, à sortir tant de personnes – dont moi – de leur zone de confort. Tant d’échanges fructueux entre personnes qui au premier abord ne pouvaient pas réfléchir ensemble ont été rendus possible par Limite. Quel formidable fourmillement d’idées ! Cependant, un des échecs de Limite aura été de se laisser gagner, malgré cette belle dynamique, par l’esprit de division, de « polarisation » comme l’explique sans relâche le pape François – c’était le sujet de sa thèse inachevée. La question de l’écologie intégrale, pour ceux qui la défendent, ne peut pas être un combat entre deux camps. Ce ne sont pas les zadistes contre les bourgeois. L’inverse encore moins. Comme le soulignait une couverture de l’un de nos premiers numéros – mon sosie dans une barque, les vrais savent  – « on est dans le même bateau ». C’est une des leçons de cette belle aventure, quelque chose qui va nous porter encore dans les années belles et difficiles qui s’annoncent. Limite est mort, vive Limite !

Camille Dalmas