Dans son nouveau film documentaire, le journaliste et député de la Somme François Ruffin donne la parole aux femmes du « métier du soin et du lien ». Des femmes de ménages, des aides à domicile, des auxiliaires puéricultrices, toutes reconnues « utiles » mais totalement déconsidérées sur le marché du travail. Pendant deux ans, François Ruffin a porté leur voix à l’Assemblée Nationale.  « Debout les femmes  » parvient à faire d’une galerie de portraits sur le terrain un véritable plaidoyer politique tendance « féminisme de classe ».

En avril 2020, le Président Emmanuel Macron a la voix serrée : « Il nous faudra nous rappeler aussi que notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». Envoyés en première ligne pendant l’épidémie de Covid, les travailleurs du soin, presque uniquement des femmes, ont disparu des préoccupations présidentielles si tôt le confinement levé. Cet appel à ne pas oublier, François Ruffin l’a entendu et l’a mis dans un coin de sa tête. Et voilà qu’un matin, après une nuit passée dans son bureau à l’Assemblée, il tombe sur l’une d’elles. Une petite voix s’immisce et disparait discrètement. Qui est-elle ? Une femme de ménage de l’assemblée, qui aura le temps, pendant le petit-déjeuner du député, de laver et nettoyer de fond en comble le bureau. « Et tous les matins c’est pareil, s’exclame à la tribune Ruffin, par quel miracle le bureau est-il lavé chaque jour ? » Le député reporter découvre alors un monde. Celui des femmes de ménages de l’Assemblée, employées par une entreprise externe. Conditions de travail difficile, salaire très bas, il n’en faut pas plus au patron de Fakir pour tirer le fil. C’est tout un autre monde qui s’ouvre à lui, celui, plus grand, des métiers du soin. Auxiliaires de vie sociale, assistante maternelle, animatrice périscolaire, accompagnante d’enfants en situation de handicap, agent d’entretien, le duo Gilles Perret / François Ruffin filme ces visages avec une tendresse déconcertante. On the road again, ils vont tenter d’obtenir de la reconnaissance pour elles et une vraie considération.

Rusé comme un serpent

C’est en Picardie que Giles Perret (La Sociale, J’veux du Soleil ) va filmer ces femmes aux journées fragmentées. Leur métier, usant physiquement et mentalement, compte plus d’accidents du travail que le BTP. Les histoires défilent, on oublie les prénoms, on se souvient des visages. Telle aide-soignante à domicile a deux épaules fracassées par le métier. Telle autre le genou, telle autre le dos. En portant les corps de nos concitoyens, pour leur faire la toilette, la cuisine. Usées mentalement. Comme cette assistante d’école qui découvre l’autisme et doit apprendre sur le tas, qui bouquine le soir en rentrant pour combler ses lacunes. Le salaire est dérisoire. Certaines doivent se débrouiller avec 700 euros par mois, avec charges et loyers à soutenir, en travaillant du soir au matin. C’est injuste, mais il en faut plus pour faire pleurer la Macronie.

Pour présenter un projet de loi crédible, Ruffin se doit de ruser. Ses adversaires le connaissent et le voient venir. Avec ses méthodes, ses enquêtes, ses trémolos dans la voix, il serait capable d’obtenir un treizième mois aux agents d’entretiens. L’adversaire se méfie.  Alors il décide d’en faire un allié. Balancé dans une mission parlementaire sur les métiers du lien avec « une vraie tête de con » connue pour son libéralisme forcené, le député du Rhône En Marche ! Bruno Bonnell, Ruffin va nouer un lien incongru. Bonnell a perdu un enfant il y a dix ans, atteint d’une maladie génétique dégénérative et incurable. Pendant quatre ans et jusqu’à ses derniers jours, raconte dans le film ce patron d’entreprise, Balthazar a été accompagné par une assistante de vie.Bonnell a été marqué par son dévouement.Les barrières politiques peuvent tomber devant les épreuves de la vie, raconte en substance Ruffin.  La méthode est là, allier la ruse et le cœur. Car l’ambition est de taille, presqu’un exploit : gratter des sous à la Macronie pour ces travailleuses précaires.  

Et doux comme une colombe

Comme souvent avec François Ruffin, on rit et on pleure. On ressort toujours de ses films avec au cœur une colère joyeuse. Voir réunies ces femmes qui travaillent d’arrache-pied pour faire tenir la société debout émeut. Constater leur épuisement, le mépris dont elles sont l’objet est proprement accablant. Ces femmes qui feraient des kilomètres pour nous, la nuit comme le jour, sans compter les heures.  Il y a de la douceur dans Debout les femmes, une tendresse qui n’est pas du miel, mais quelque chose de plus profond, de la dignité retrouvée, du soleil qui donne vie à tout ce qui était éteint.

Paul Piccarreta