Où allons-nous ? » C’est la question que posait Bernard Charbonneau, l’ami de toujours de Jacques Ellul, dans la revue Combat nature en 1984. Cette question, alors, ne se posait pourtant pas. Où allions-nous ? Vers le progrès, pleine balle, chauffe Marcel !

Quarante ans plus tard, un morceau du monde s’est effondré. La biosphère est dévastée, la vie sociale fragmentée. Le ciel est vidé de ses oiseaux, les mers privées de leurs poissons, les champs de leurs insectes, les sols de leurs innombrables habitants, et les travailleurs de leur travail. Quarante ans plus tard, nous savons où nous sommes et pourquoi nous y sommes. Le progrès, qui devait nous libérer de nos chaines, nous a ligoté comme jamais. Malin comme un singe cloné, il a fait de nous nos propres geôliers.

« Avec moi, ça ira mieux ! ». Ils nous le promettront toujours. Mais on sait que le progrès technologique et économique se nourrit de l’instabilité et que la crise est son carburant. « Notre bagnole a un moteur surpuissant, écrivait Charbonneau, il ne lui manque qu’un frein. Ce ne sont pas les innovations qui nous font défaut, mais la possibilité de les assimiler ». Le progrès social, lui, s’érafle à mesure que son double maléfique se consolide. Qui se lève encore pour dire qu’une innovation qui ne permet pas aux gens de s’émanciper n’est pas un progrès ? Dans ce numéro, vous trouverez des hommes et des femmes qui font la différence entre progrès et productivisme, entre amélioration de la vie de chacun et accumulation stérile, qui proposent des alternatives qui ne sont pas des « retours en arrière ». « Entre l’abîme du désordre et celui de l’ordre, nous dit encore Charbonneau, bien plus qu’autrefois le l est mince, il nous faut tenir fermement le balancier. L’écologie fournit le maître mot de la vie, et surtout la liberté humaine : l’équilibre ».

« Mais vous voulez revenir à la lampe à huile ? » Ceux qui aujourd’hui critiquent l’usage irrationnel des sciences et des techniques sont accusés d’obscurantisme et de complicité avec la société amish. Pourtant, tous les scientifiques sérieux s’accordent à dire que la sobriété et la décroissance sont inévitables. Dans ces pages, Jean- Marc Jancovici nous prévient : « Il nous faut inventer un projet de société qui ne repose pas sur la croissance ». L’ingénieur bat en brèche la fascination technophile de nos dirigeants et détruit méthodiquement les idoles.

Une innovation qui ne permet pas de s’émanciper n’est pas un progrès

Chez Limite, blasés par une année électorale vide de sens, nous avons pris à bras le corps ce qui nous tient le plus à cœur : l’écologie sociale. On a fabriqué ce numéro en y mettant ce que nous jugeons le plus essentiel : les gens qui – selon nous – font de la vraie politique. Ceux qui s’approprient leur travail et le font dignement, au quotidien, en montant des fermes, en fondant des coopératives, en accompagnant nos vieux jusqu’à la fin. Ces gens ordinaires, pour reprendre le mot d’Orwell, qui nous semblent beaucoup plus importants que les politiciens qui jouent un mauvais spectacle. Les deux qui ont mis leur tête sur la couverture, quant à eux, ne sont pas des hommes politiques comme les autres. A Versailles comme à Amiens, ils doutent, et naviguent quand il le faut à contre-courant du conformisme ambiant. Il y a quelque chose en eux qui n’est pas mort en entrant en politique, une espérance de voir la « vie vivante » prendre le pas sur le monde des machines.

Le nouveau numéro Limite est disponible en kiosque. Si vous aimez Limite, qu’attendez-vous pour vous abonner ?

Paul Piccarreta