Le Temps qu’il fait est un précieux almanach où le poète et romancier Henri Pourrat a recueilli des dictons, des chansons, des proverbes et des observations sur la campagne et le jardin (1944). Jadis, y écrit le chantre de l’Auvergne paysanne, « on n’ouvrait pas le journal, on regardait le temps» . Aujourd’hui, on consulte la météo sur nos smartphones, tandis que le béton a inondé la terre. La pluie bienfaisante, « sœur eau, si utile, humble, précieuse et chaste », est mauvais temps, la chaleur bonne nouvelle. Les bulletins météos se succèdent, éclipsant les menaces climatiques : des étés toujours plus arides, des gelées tardives, fatales après des chaleurs précoces. Combien de canicules dévastatrices faudra-t-il pour que le « chaud » cesse d’être « beau » ?

« Tu peux regarder les journaux, mais il y aurait intérêt à regarder la couleur du temps, aussi… » Celle du nôtre, de fait, n’est pas très ragoûtante. Le climat a quelque chose d’étouffant : on suffoque sur les ondes autant que sous le soleil. Où que l’on regarde, l’horizon semble noir. Les crises s’empilent. Les malheurs s’entassent. Et les pitres pullulent. Entre les vrais drames et les combats de coq, entre la souffrance et la com’, nos conditions mêmes d’existence sont reléguées. La toile de fond de nos vies disparaît derrière les breaking news. Le Covid nous aura sur-mobilisés deux ans ; le climat, dont dépend pourtant notre survie, à peine quelques minutes.

Ainsi est-on pris d’un vertige quand on songe que tout ce qui nous paraît déjà si grave – l’exploitation, la précarité, la misère, l’injustice, la violence, l’exil, l’artificialisation, le contrôle de nos vies… – sera non pas balayé, mais amplifié par le désastre écologique. Les phénomènes migratoires créent des tensions ? Imaginez ce que ce sera quand des millions de personnes devront fuir leurs pays devenus, en eux-mêmes et très concrètement, inhabitables. Les agriculteurs galèrent à vivre de leur travail ? Il n’y a pas lieu d’espérer que la chute drastique de la biodiversité leur facilite la vie. Un virus confine l’humanité ? Il est à craindre que, mondialisation et déforestation aidant, ce ne soit que le début.

La conversion prendra le temps qu’il faut (mais ça urge !), et l’essentiel, peut-être, ne nous appartient pas. Nous reste à faire, hic et nunc, tout le bien possible. En cueillant chaque joie comme une grâce. En continuant, vaille que vaille, à « s’occuper de la terre »

Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, l’avait d’ailleurs dit sans ambages dans un entretien au Monde en avril 2020 : « Ma crainte, c’est que le monde d’après ressemble furieusement au monde d’avant, mais en pire. » Alors quoi ? La conversion prendra le temps qu’il faut (mais ça urge !), et l’essentiel, peut-être, ne nous appartient pas. Nous reste à faire, hic et nunc, tout le bien possible. En cueillant chaque joie comme une grâce. En continuant, vaille que vaille, à « s’occuper de la terre » : « Du fond des catastrophes, il faut bien repartir de cela. Dans l’écroulement retentissant des civilisations, on retrouvera les grandes choses silencieuses : la terre qui tourne sans bruit, le trèfle, le seigle, le chêne, menant humblement, puissamment, leur vie réglée selon le juste temps des saisons. » (H. Pourrat)

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