Comment reconnecter l’Homme à la nature ? Comment repenser la technique ? Vastes questions auxquelles la doctorante en philosophie Isabelle Priaulet tente de donner des pistes réflexives par la philosophie et la spiritualité. Elle-même s’est adonnée à cette reconnection et prône dans son livre, Penser les fondements philosophiques de la conversion écologique (aux éditions Labor et fides), un rapport à la nature “intime” et cosmique”, nécessaire mais limité. Isabelle Priaulet appelle cela “l’écologie de la résonance”. Extrait.

PROPOS RECUEILLIS PAR GAULTIER BÈS – ILLUSTRATIONS DE MARGUERITE LE BOUTEILLER 

Vous avez un parcours plutôt original. Comment en êtes-vous venue à la philosophie de l’écologie ?

Après un démarrage plutôt classique (prépa et école de commerce, ESCP/EAP), j’ai très vite compris que la philo était ce qui me fait « persévérer dans l’Être »…J’ai complété avec un master de philo à la Sorbonne. Puis il a bien fallu sauter le pas ! J’ai travaillé une quinzaine d’années en entreprise, dans la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) puis la finance éthique (ISR : Investissement Sociale- ment Responsable). A la quarantaine, comme beaucoup de gens de ma génération, je me suis posée la question de ce qui m’animait vraiment et de l’utilité sociale de ce que je faisais. Confrontée à beaucoup de greenwashing, j’avais envie de contribuer à un changement plus radical. J’ai repris, tout en travaillant, des études en science des religions à l’Institut Catholique de Paris, puis un doctorat de philosophie afin de pouvoir enseigner, ce qui m’a toujours beaucoup nourrie.

« Nous ne croyons pas ce que nous savons » : cette phrase de Jean-Pierre Dupuy a été un déclencheur pour mes recherches. J’ai essayé de comprendre pourquoi, d’aller à la « racine » des choses sur le modèle de l’écologie profonde… Au départ, il y avait l’intention d’inverser la for- mule de Dupuy pour montrer combien « nous ne savons pas que nous croyons ». L’étude des grandes traditions spirituelles et la lecture de certains philosophes m’ont permis de mettre en lumière la spécificité et la relativité de notre regard occidental sur la nature, marqué par la culture technicienne. En 2015, Laudato Si m’est apparue comme un signe et un encouragement !

Au fil des pages de votre thèse, vous dialoguez avec de grands noms, de Platon à Arne Naess, d’Epicure à Heidegger, de Spinoza à Thoreau, en passant par Maître Dôgen, figure du bouddhisme zen japonais contemporain de saint François d’Assise, Hans Jonas ou Jacques Ellul. Qu’est-ce qui rapproche toutes ces figures ?

Le fait de faire de l’écologie une question on- tologique en l’abordant sous l’angle de notre « être-au-monde » ! La plupart de ces auteurs insistent sur la nécessité d’une transformation profonde de notre sensibilité au vivant pour ouvrir sur une empathie véritable qui motive au plus profond de nous l’agir écologique tout en continuant à aimer nos semblables… Parmi les concepts forts, on peut citer la « chair du monde » merleau-pontienne qui a tant ins- piré les courants de l’écologie, mais également « l’identification » aux autres êtres vivants à laquelle nous invite Arne Naess, la « spiritualité de la résonance » de maître Dogen, le « simplifiez, simplifiez ! » de la vie dans les bois de Thoreau…

Pourquoi commencer par aborder la technique, plutôt que la contemplation par exemple ?

Parce qu’elle vient profondément conditionner notre « être-au monde » en imposant un « paradigme dominant», une grille uniquement quantitative de lecture du monde que la plupart du temps nous ne faisons que subir. Pour François, l’origine humaine de la crise écologique, c’est ce « paradigme technocratique ». Or, questionner la finalité de la technique n’est pas seulement un enjeu éthique, mais ontologique. Il en va de la possibilité pour l’homme de sacrifier sa liberté en confiant aveuglément les rênes de sa destinée à la technique. De l’appel de Jonas à assumer notre « devoir-être » par rapport aux générations futures, au catastrophisme de Günther Anders qui envisage la possibilité pour l’homme de devenir « obsolète », ce qui est en jeu pour ces penseurs est le risque, en tournant le dos au vivant, d’en venir à renier notre humanité. C’est pourquoi la conversion écologique est d’abord une conversion du Soi…

La suite de l’entretien est disponible dans la revue Limite n°26 « Débranchez le progrès » à retrouver en kiosque. 98p. 12€