Simone Weil songeait que si on affichait aux portes des églises que l’entrée est interdite à quiconque jouit d’un revenu supérieur à telle ou telle somme, peu élevée, elle se convertirait aussitôt. Simone Weil ignorait sans doute que l’Église est moins faite pour les bien-portants que pour les cabossés, et que dans le langage du Christ, pauvre signifie riche, et misérable puissant. Cette confusion perdure et c’est ainsi que lorsque notre bon pape François s’exprime au sujets des périphéries, un malentendu s’opère naturellement. Il prononce « périphéries », et vous entendez comme moi « Montfermeil », « Échirolles », « Calcutta ». Mais c’est sans doute un autre endroit qu’il vise. Puisque, pour lui, les pauvres sont au cœur de l’Église, c’est-à-dire au centre, c’est Neuilly-sur-Seine qui en est la périphérie. Un ami, père de famille, dramaturge et philosophe, qui honore de ses paradoxes les premières pages de cette revue, parlait naguère des « quartiers sensibles » de l’ouest parisien, « spirituellement sinistrés ». Pourquoi, suggérait-il, ne pas marauder auprès de ceux pour qui la richesse est un fléau ? On pourrait, pour alléger leur souffrance, leur proposer une balade à vélo plutôt qu’en Range Rover (c’est moi qui invente), un repas partagé avec leurs propres enfants, des soins gratuits dans un hôpital public que procure une infirmière dévouée (2240 euros nets en fin de carrière) ?

Peut-être que le devoir de tout authentique citoyen est de ramener un riche à la raison en le ramenant à la maison. À table, il y aurait la place du riche, laissée vide, et gémissant son hôte qui a trop, qu’un souper simple viendrait consoler, et il nettoierait lui-même son assiette après. Nous ferions ainsi œuvre de bienfaisance. Si notre époque cultive la haine des riches, c’est peut-être que nous ne haïssons pas suffisamment les richesses. Pourquoi parle-t-on de « cadeaux » pour des avantages fiscaux démentiels qui ruinent l’âme, de parachutes « dorés » pour des indemnités qui paralysent ?

Dans son style, François Ruffin proposait au PDG de LVMH une solution très « common decency ». « Je veux, pour le bien de Bernard Arnault, qu’il rencontre ses salariés licenciés, qu’il se rende compte et qu’il soit plus proche du peuple, pour son bien. » Le marxisme est bien plus accommodant avec les riches. Il escompte (vainement) les faire suer le temps d’une vie, alors que le christianisme, moins laxiste, les place tout droit dans un bassin de feu et de sang pour l’éternité. Voici ce que Balthasar (le théologien, pas le roi mage) écrit du jeune homme riche. « L’évangile de Luc souligne avant tout le fossé infranchissable entre la vie de bombance du riche et la misère du pauvre. Jésus a précisé très concrètement le commandement de l’amour du prochain, et il étend la portée du contraste criant entre pauvre et riche : le fossé devient dans l’au-delà l’abîme définitif, infranchissable, entre le repos dans le sein d’Abraham et les enfers brûlant. » La « lutte des classes », qui ne voulait rien de plus que rendre au prolétariat ses moyens de production, est finalement peu de choses à côté de cette séparation littéralement infernale.

Alors, que pouvons-nous nous souhaiter pour cette année nouvelle, à nous qui marchons cahin-caha sur le chemin de l’écologie intégrale, attentive à « la clameur de la Terre autant qu’à celle des pauvres » ? De guérir de nos aveuglements et de nos égoïsmes, sans doute. En un mot, de ne pas nous tromper de richesse.

[ Cet édito inaugure le 17ème numéro de Limite ]


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Paul Piccarreta