Alors que certains imaginent qu’un « grand débat» et quelques millions débloqués pourraient suffire à calmer une colère profonde et, à bien des égards, légitime, l’économiste Pierre-Noël Giraud rappelle que la réduction des inégalités conditionne toute action politique durable. S’il revient aux économistes d’«indiquer les moyens» et aux politiques de « prescrire les fins », l’écologiste conséquent doit penser à la fois à la finalité de son engagement et à ses conditions de possibilité, aux « fins de mois » impossibles comme à la « fin du monde » possible. Sans quoi, les Gilets jaunes n’ont pas fini de surgir des ronds-points…

Ingénieur de formation, Pierre-Noël Giraud enseigne à l’École des mines de Paris, à l’université Paris- Dauphine, ainsi qu’à l’Université MohammedVI Polytechnique au Maroc. Il a aussi été contributeur du Groupement international d’experts sur le climat (GIEC) en tant qu’expert de l’économie des matières premières.

Vous soutenez que les réserves d’hydrocarbure sont loin d’être épuisées. Comment, en ce cas, réduire les émissions de gaz à effet de serre?

On a déjà découvert beaucoup plus de carbone fossile qu’on ne peut se permettre d’en brûler. Les réserves prouvées, exploitables aux prix actuels, sont quatre fois supérieures aux quantités que l’on peut utiliser si l’on veut stabiliser le réchauffement climatique à +2 °C. Les prix de marché des énergies fossiles, sans intervention des États, n’augmenteront pas et pourront même diminuer en raison d’un progrès technique continu. Il ne faut donc pas compter sur le fonctionnement libre des marchés de l’énergie fossile pour réduire leur consommation. La solution qui a la préférence des économistes, pour inciter les consommateurs à basculer vers les énergies « vertes », est de taxer l’usage des énergies « brunes ». Encore faut-il que l’offre alternative existe et si possible à un coût pas trop éloigné de celui des énergies carbonées.

C’est le pari de la « croissance verte ». Ne vaudrait-il pas mieux décroître?

Les termes de croissance et de décroissance sont à mon avis très mal choisis. Si on réoriente nos ressources productives vers un système décarboné, il en restera moins pour produire les biens et services d’aujourd’hui et pour produire de l’énergie comme aujourd’hui. C’est évident et rien ne sert de le dissimuler. Certaines productions doivent décroître, et d’autres doivent croître. «Croissance verte » signifie, à capital social et humain donné, réduire la consommation des biens matériels au profit d’un bien public immatériel, la qualité du climat. Il faut accepter l’idée que la « croissance verte » implique une réduction de la consommation matérielle et énergétique actuelle. Cela dit, certains travaux, auxquels j’ai participé, montrent que la croissance « verte », par rapport à un scénario de continuation de la croissance « brune » actuelle, crée des emplois car elle est globalement moins intense en capital. Elle crée en particulier des emplois locaux non délocalisables, que j’appelle sédentaires. Les vraies questions sont: qui doit réduire en priorité ses consommations polluantes? Comment partager équitablement l’effort collectif, sur le plan international et national? A priori, cela n’a rien à voir avec la croissance.

[La suite de cet article est à lire dans le 16ème numéro]


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