« On nous dit tout le temps “allez, en marche !”, mais en marche vers quoi, à part la mort sociale, politique ou écologique ? » Ainsi parlait Yildune Lévy, en avril dernier, à la sortie du tribunal qui la relaxait, elle et Julien Coupat, meneur présumé du « groupe de Tarnac », après une décennie d’acharnement judiciaire. « S’il y a une chose à retenir, c’est qu’il ne faut jamais lâcher, jamais cesser de se battre contre toutes les machines à broyer, quelles qu’elles soient… ».

Le techno-capitalisme ne se laisse pas faire. Il est prêt à tout pour s’imposer, quitte à ruiner des vies, des paysages, des modes de vie, quitte à menacer même nos conditions d’existence. On a vu des tractopelles « déconstruire » des cabanes à Notre-Dame-des-Landes. On a vu un jeune homme mourir à Sivens. On a vu, chaque année un peu plus, des militants écologistes, soucieux de préserver telle forêt, telle mangrove, telle peuplade indigène, assassinés. Et combien de manipulations pour nous faire prendre ces folies pour des progrès ? Usines à viande ; OGM qui ruinent les petits paysans ; euthanasie qui frappe les mourants d’indignité ;  eugénisme qui trie in vitro sous-humains et surhommes ; procréation artificielle qui fait de l’enfant un produit sous garantie… Nous ne suivrons pas cette longue marche vers le néant, humain, biologique, symbolique.

Le monde commun dont s’est emparée l’industrie ne mérite plus guère ce beau nom. C’est moins un monde, un cosmos, un ensemble harmonieux, qu’un immonde, un chaos, une décharge. C’est un monde insipide, vide, sous-vide, c’est-à-dire vidé de sa faune, de sa flore, de toutes ces beautés gratuites parce qu’elles n’ont pas de prix. Un dispositif où le chiffre fait loi, double règne de l’opacité et de la quantité. Un e-monde, où l’écran écrase tout, où une médiation technique et marchande s’immisce dans la moindre relation. Un système binaire fait de transactions virtuelles et de grandes surfaces interchangeables, une start-up disruptive, globalisée, monopolistique. Imagine : la Silicon Valley qui annexe ton village aveyronnais ; Laurent Alexandre 7 milliards de fois cloné ! Cet immonde, c’est celui des GAFAM ou de Monsanto-Bayer, leader mondial des perturbateurs endocriniens, sous forme de pesticides ou de pilules, au choix. Celui, aussi, d’un « progrès » ininterrompu depuis 150 ans, celui de « la contamination du monde » (François Jarrige et Thomas Le Roux) qui pollue tout, y compris nos imaginaires. L’immonde, c’est « la vie oubliée ».

C’est ce « marche et crève », et lui seul, que Limite combat avec tous les amis de la Terre. Nous ne cesserons de lui opposer notre monde, un monde imparfait sans doute, mais bien vivant. Un monde qui n’est ni le meilleur ni celui des meilleurs, mais qui est le nôtre, le seul que nous connaissons assez pour l’aimer tel qu’il est, et l’arpenter sans nous lasser. Ce monde, chaque jour nouveau, ne sortira ni d’une usine, fût-elle certifiée HQE, ni du cerveau d’un ingénieur, fût-il augmenté. Il jaillira, il jaillit chaque jour, de nos foyers, de nos jardins, de nos communautés. C’est un monde parce qu’il a forme et sens, limite et cohérence. Les choses et les êtres y ont leur place : personne ne peut tout, mais personne n’est exclu. Comme dans tout écosystème sain, les relations y sont d’interdépendance, non d’exploitation. On y voit des poules, des lapins, des papillons et des enfants qui courent après. Le ventre est encore fécond d’où a surgi la vie. Notre monde est une arche.

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Paul Piccarreta