Cet été Limite a pris des vacances, ses contributeurs aussi ! L’un d’entre eux nous fait le récit de son voyage au couvent de Sintra au Portugal.

La région de Sintra, au nord de Lisbonne, est plus connue pour ses palais que pour son couvent franciscain perdu dans une forêt de montagne. Alors qu’au Palais de Peno, ancienne demeure royale, un million de touristes se presse chaque année, le monastère des Capucins en est miraculeusement épargné. Lorsque nous nous y rendons en plein mois d’août, le guichetier est ravi de trouver quelqu’un à qui vendre un ticket d’entrée.

En 1548 décède Don João de Castro, vice-roi de l’Inde portugaise, noble connu pour ses exploits militaires et considéré par l’historien Diogo do Couto comme un exemple de charité et d’humilité. Il laisse à son fils, Don Alvaro Xavier de Castro, la charge de bâtir en la forêt de Sintra un monastère, tâche reçue de son propre père mais qu’il n’a pu accomplir de son vivant. Dès 1560, une communauté de huit Franciscains s’installe au monastère de Santa Cruz de la Serra de Cintra, plus souvent appelé « Convento dos Capuchos ». Les moines n’abandonneront le lieu qu’en 1834 lorsque le pouvoir libéral dissout les ordres religieux et confisque leurs biens.

                                                                                                                                       couvent sintra

Pour accéder au monastère on suit un chemin de pénitence. L’on parcourt d’abord une « place », clairière dans un écrin de verdure, où trois croix représentent le Golgotha. L’on passe ensuite sous une arche naturelle, le Portail des Rochers. La croix qui se dresse en travers du chemin symbolise le libre-arbitre. À l’image de cette voie d’accès, tout le couvent a été bâti en harmonie avec la nature, creusé dans des roches de granit. On pénètre dans les bâtiments en passant par la porte de la Mort. Ici, le moine se détachait du monde matériel pour entrer dans un royaume ascétique. Les frères vécurent dans le plus strict dénuement, se nourrissant des fruits d’un potager toujours existant et du Verbe de la petite bibliothèque. L’alimentation en eau était assurée par le détournement d’une source, le courant arrivant ainsi dans la « Maison des eaux » où sont encore visibles les installations sanitaires et dans la cuisine. Pour accéder à leurs minuscules cellules semblables à des niches, les moines étaient contraints à la génuflexion. Les guides touristiques qualifient de « lilliputien » ce couvent voué jusque dans son architecture à l’adoration du Christ et de sa Création. Ici, les moines purent comme nul autre suivre la règle de Saint François d’Assise et de son Ordre des Frères mineurs, se fondre dans une nature adorée et vivre humblement la joie de Son amour

En visite dans le couvent à la fin du XVIème siècle, Philippe II d’Espagne, nouvellement roi du Portugal qu’il avait conquis, considéra que le monastère était, de par son extrême pauvreté, un des lieux les plus estimables de son royaume. Les parties utilitaires ne sont effectivement décorées que de liège, isolant naturel fixé par les moines eux-mêmes, d’où le nom de « Monastère de Liège » choisi par le voyageur William Beckford en 1787 pour décrire le lieu. Ce liège a été appliqué sans transformation, en larges morceaux d’écorces, sur les portes et les fenêtres, et a été utilisé pour construire leurs encadrements. Ce matériau n’est pas très esthétique mais surprenant pour qui ne le connait qu’en bouchons. Sa simplicité contraste avec les azulejos, panneaux de céramique typiques de l’art portugais, qui ornent la Chapelle de la Passion du Christ. Cet écrin bleuté fait la renommée de nombreuses chapelles portugaises, on en trouve ici un très bel exemple. Tout aussi admirable, la fresque peinte sur la façade de la « Chapelle du Seigneur dans le potager » représente Saint François d’Assise et Saint Antoine, patron du Portugal et des miséreux. Cette fresque surplombe de quelques marches le cloitre, sa fontaine octogonale et ses fosses archéologiques. Au-dessus du monastère, un chemin percé dans une végétation dense mène à la Chapelle du Seigneur crucifié qui est établie sous deux rochers. À l’écart de toute agitation et de toute distraction, les moines pouvaient s’y adonner à la contemplation de la Création.

Alors que Jean Paul II lui-même nous appelait à une « écologie humaine authentique », nous ne pouvons faire mine d’ignorer ce que signifie « la sauvegarde de la maison commune ».

Une légende locale renforce la sacralité du lieu. Un jour, Frère Honório qui faisait partie de la petite communauté se promenait dans la forêt de Sintra, se laissant aller à la méditation. Soudain, une jeune fille l’interrompit brutalement, le priant de la laisser lui confesser ses péchés. Atteint dans sa chasteté par sa beauté obscène et ses gestes insistants, le Franciscain d’une main se protège les yeux et de l’autre se signe. Sous les traits de la femme se dévoile alors le malin qui disparait dans un cri inhumain. Pour avoir été proche de tomber dans la tentation, Frère Honório aménagea à proximité du couvent une fosse toujours visible et y vécut de pain et d’eau dans un recueillement ininterrompu durant les trente dernières années de sa vie centenaire.

La grande vertu des Franciscains de Sintra et l’architecture de ce couvent devraient interpeller les chrétiens d’aujourd’hui. Notre pape a choisi de prendre le nom de François, pour se mettre dans les pas de celui qui ne se couvrit que d’une bure pour « suivre nu le Christ nu ». Son encyclique Laudato Si’ dont le titre est tiré du cantique des créatures, exhorte les croyants à prendre l’auteur François d’Assise pour exemple en se convertissant à l’écologie intégrale. Alors que Jean Paul II lui-même nous appelait à une « écologie humaine authentique », nous ne pouvons faire mine d’ignorer ce que signifie « la sauvegarde de la maison commune ». Une alternative chrétienne et écologique à la robotisation et à l’ubérisation est possible et ce couvent en plein milieu de la forêt de Sintra en est un bel exemple. La simplicité et la radicalité du quotidien de ces Franciscains peut être une source d’inspiration pour l’engagement en faveur de la préservation de la Création.