Face aux mauvais traitements infligés aux migrants par les autorités à Calais, les catholiques locaux se rebiffent et exigent avec leur évêque Mgr Leborgne un moratoire sur les démantèlements et des moyens pour accueillir dignement. Une lettre ouverte au préfet circule.

Alors que l’épidémie de Covid-19 frappe de plein fouet un pays déprimé des restrictions successives de libertés, il n’y a presque plus personne pour raconter ce qui se passe sur la route des migrations. À Calais, depuis le démantèlement ultra-médiatisé de la « jungle » en 2016, les migrants sont toujours là par centaines mais l’indifférence à leur égard grandi. Les catholiques du coin restent pourtant mobilisés.

À Calais, la doctrine des autorités est le « zéro point de fixation », les rassemblements de tentes sont systématiquement démantelés. Un rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme publié en février 2021 évoque « des opérations quasi quotidiennes de démantèlement et de destruction des abris provisoires et une multiplication des obstacles afin d’empêcher les actions citoyennes d’aide ».

« On a fermé des campements, mais on a ouvert l’innomable »

Débarqué à Calais en 2016, le père Louis-Emmanuel Meyer comprend vite que cette doctrine est « liée à une image médiatique ». En effet, « comme les migrants ne sont plus fixés dans les camps, ils sont invisibles, sous un pont un soir, sous un bosquet ou derrière les dunes le lendemain », tout est fait pour « gommer le problème dans l’espace public », au prix d’une chasse à l’homme quotidienne et sans fin.

Pour la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les migrants « s’épuisent à errer, sans cesse à la recherche d’abris de fortune et de moyens de survie dans des lieux toujours plus hostiles, plus insalubres, plus isolés, et ainsi plus dangereux ». « On a fermé des campements, mais on a ouvert de l’innommable » a réagi un élu auprès de cette commission indépendante.

« En France, le droit des animaux de compagnie est mieux respecté que celui des migrants »

4 ans après l’évacuation de la jungle, les paroissiens de Calais refusent de s’habituer à ce ballet absurde. « Pendant le confinement on a lu tous ensemble l’encyclique Fratelli Tutti du Pape François », raconte le père Louis-Emmanuel Meyer. Le chapitre sur les migrations, les propos « pesés et réfléchis » du pape, marque les paroissiens qui se demandent « et nous qu’est-ce qu’on va faire ? ».

« Beaucoup sont déjà engagés dans des associations plus ou moins politisées comme Utopia, l’Auberge des migrants ou le Secours Catholiques, ou tout simplement ouvrent leur garage pour permettre charger des téléphones et boire un peu de soupe », raconte le prêtre. « On passe notre temps à essayer de les aider et l’État essaye de saper cette aide. » L’idée d’une lettre ouverte des paroissiens de Calais jaillit, pour « avoir une parole forte vis-à-vis du préfet pour dire leur indignation des traitements imposés sur le terrain ». Pas pour « régler la question » mais essayer de « montrer la réalité ».

Un évêque en renfort

La visite le 3 mars dernier de l’évêque du Diocèse d’Arras dans l’unique accueil de jour de Calais, tenu par le Secours Catholique, va donner une autre ampleur à cet appel. Mgr Olivier Leborgne et Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique, dénoncent dans une allocution commune des traitements inhumains. « En France, le droit des animaux de compagnie est mieux respecté que celui des migrants » s’émeut l’évêque, « stupéfait » du « harcèlement » subi par les réfugiés dont il est un défenseur de longue date.

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L’Église exige un « moratoire immédiat » sur les démantèlements et l’ouverture de lieux permettant « l’accès aux services de base », comme des WC et des douches. Une exigence dans la droite ligne de ce que recommande la CNCDH dans son rapport publié en février dernier : « mettre un terme à la politique sécuritaire du « zéro point de fixation » et « qu’aucune opération d’évacuation ne soit réalisée sans que des propositions de mise à l’abri/hébergement adaptées soient formulées avec une information suffisante ». Deux appels restés lettre morte.

Une lettre ouverte au préfet

Deux semaines après la visite de Mgr Leborgne, la lettre ouverte au Préfet du Pas-de-Calais pour que cesse « une politique de maltraitance indigne de notre humanité » est distribuée à la fin des messes et commence à être envoyée. Les catholiques de Calais refusent de rester « indifférents » et reproduisent les trois exigences de leur évêque : « décréter un moratoire immédiat sur les expulsions de lieux de vie (campements, bidonvilles, squats), ouvrir des lieux couverts d’accès aux services de base (alimentation , hygiène, recharge électrique, information sur les droits) et ouvrir immédiatement des dispositifs de mise à l’abri ».

Le Père Louis-Emmanuel tient à insister sur l’absence de sous-texte militant dans cette lettre ouverte. « On peut tenir une ligne ferme sur les migrations au niveau politique, mais les gens sont là, et comme chrétien vous ne pouvez pas ne pas les aider », détaille celui qui se décrit d’ailleurs comme plus « conservateur » que « catho de gauche ». Il croit que l’Église peut proposer un « troisième voie, entre l’accueil large et une politique très ferme ».

La lettre, « des paroissiens qui votent RN l’ont signée », assure-t-il, tout simplement parce qu’on « ne peut pas laisser les gens comme ça dans la rue ». Et de rappeler qu’il y a des chrétiens parmi les migrants, comme ce couple de protestants évangéliques qui venaient à la messe avec leurs trois enfants, « un jour ils ne sont plus venus et on a appris qu’ils s’étaient noyés ».