Les lecteurs de Limite connaissent bien François Bégaudeau depuis que nous avons publié un entretien fleuve entre lui et le patron dans le numéro 15. Paul et François se sont bien entendus, et il y avait dans les quelques milliers de signes de l’entretien matière à développer. Le développement est désormais publié, aux Éditions de L’Escargot. Son titre : Jésus, les bourgeois et nous.

Cette discussion entre Paul et François permet de préciser la pensée de Bégaudeau sur la question des bourgeois. En 2019, il leur dédiait un pamphlet remarquable que Le Monde détesta. Histoire de ta bêtise s’adressait au bourgeois progressiste qui avait permis l’accession de Macron au pouvoir. Il faisait la somme de ses errements et de sa bouffonnerie dans un tutoiement délicieux. Ce bourgeois cool, Bégaudeau l’oppose au bourgeois hard dont il démontre dans ce nouvel opus la fausseté.

Avec le cool qui regarde des séries et mène une existence mobile, fluide, il y aurait un hard qui défendrait les valeurs traditionnelles et promouvrait Simone Weil. Si cette bourgeoisie existe, démontre Bégaudeau, elle ne fait que la « recycler grossièrement sans la lire ». Car son goût pour l’enracinement et son christianisme s’arrêtent où commence ses intérêts pécuniaires. « Où est Fillon à l’heure qu’il est ? Au coin du feu, en train de relire Châteaubriand ? Plus sûrement en Russie ou au Qatar, pour une prestation très bien facturée par une grosse boîte internationale ou un État-entreprise. », s’amuse François. Les bourgeois cool et hard, « deux versions stylistiques d’une même classe, celle des possédants ». La démonstration est implacable, féroce.

Ce livre est également l’occasion pour Bégaudeau de revenir sur un concept très discuté, celui de common decency, emprunté à Orwell par Michéa. Cette décence commune suppose l’existence d’une solidarité naturelle au sein des classes populaires. Bégaudeau a enfin l’opportunité de déployer sa critique de ce concept, qui n’est pour lui rien d’autre qu’une « fable intellectuelle ». Il explique que cette solidarité on ne la trouve à l’état pur que dans « le contre-monde du PCF » dans lequel Michéa et lui-même ont baigné pendant leur enfance et que cette expérience singulière n’est pas celle de la classe ouvrière universelle. « La rigueur veut simplement qu’on n’universalise pas un fait social particulier », veut trancher Bégaudeau. Mais relancé par un Piccarreta indécrottable, il s’associe à la décence ordinaire à la condition qu’en soit reconnu le « soubassement chrétien », une « plus vaste foi en la fraternité humaine ».  

Le soubassement chrétien, c’est le fil rouge de cette discussion qui doit révéler un Bégaudeau moins brutal qu’il n’apparaît dans les studios lorsqu’il s’agit de jouter contre un journaliste du service public – incarnation même du bourgeois cool. Théologie de la libération, Sainte Trinité, CFDT, liturgie, tous ces sujets permettent de dévoiler un François méconnu. Bégaudeau est fasciné par le Christ, « il suffit à ma joie », et on sent même qu’il l’inspire. « Le Christ est venu rassembler mais aussi semer la discorde », souffle-t-il, admiratif.

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