« Si l’État français devient un monstre autoritaire, qui défend par la peur un modèle économique et social mortifère, alors, oui, j’assume d’être séparatiste. »

Cette déclaration, c’est à Marianne Durano, une jeune essayiste brillante, qu’on la doit, sur le site de l’excellente revue Limite (en toute objectivité, NDLR). C’était le 2 octobre dernier, au lendemain de la présentation du « projet de loi contre le séparatisme », entre-temps devenu « projet de loi confortant les principes républicains ». Insuffisant pour les uns, liberticide pour les autres, il vise clairement l’islamisme, désignant l’« islam politique » comme la principale menace pesant sur la République. Après le laxisme, la traque ? Répondre aux attentats en attentant aux libertés (de culte, de conscience, d’éducation…) serait de mauvaise politique. Entre le marteau djihadiste et l’enclume laïciste, l’espace est mince et on a besoin d’air (surtout avec nos masques).

Ras la lacrymo !

Ce qui inquiète ici, c’est la concomitance entre ce projet de loi et celui sur la Sécurité globale, censé « protéger ceux qui nous protègent ». Car on ferait davantage confiance en la bonne foi de nos gouvernants s’ils ne laissaient pas gaz, tonfas et LBD s’abattre si généreusement sur les citoyens réfractaires. Ces derniers temps, la République a un parfum de lacrymo. Ma petite expérience de « veilleur » – assis sur l’herbe à lire Péguy, un lumignon dans un gobelet – a suffi à me guérir de toute naïveté face aux forces de l’ordre. Je me souviens, le 31 août 2013, d’une file interminable de cars de CRS à la Concorde pour quelque trois cents personnes, qui ressemblaient autant à des blacks blocs que Gérald Darmanin au Dalaï-Lama. Ce n’était là qu’intimidation, ou ridicule paranoïa. Mais l’État ne se contente pas de montrer ses muscles aux manifestants, il s’en sert aussi, de plus en plus allégrement. Combien de Gilets Jaunes mutilés ? De manifestants tabassés ? La disproportion comme seule technique de dissuasion : l’on plaint les policiers soumis à des ordres aberrants.

L’État peut être utile et légitime, et la police très bienvenue, pourvu que l’un et l’autre restent à leur place. Mais ne soyons pas dupes : qu’il s’agisse d’anti-terrorisme ou de santé publique, l’État sait profiter de tel ou tel effet d’aubaine pour avancer ses pions.

Ce qui frappe, c’est l’alliance de plus en plus fusionnelle du libre-échange et du flashball. On connaissait la chimère chinoise du communisme capitaliste, on découvre avec Macron le néo-libéralisme autoritaire. «En république, l’État surplombe la société. En démocratie, la société domine l’État », synthétisait Régis Debray. On serait tenté d’ajouter : en libéralisme, le marché gouverne l’État qui surplombe la société. Entendons-nous bien : comme le rappellent les pages qui suivent, l’État peut être utile et légitime, et la police très bienvenue, pourvu que l’un et l’autre restent à leur place. Mais ne soyons pas dupes : qu’il s’agisse d’anti-terrorisme (voir l’affaire de Tarnac, « fiasco policier et pantalonnade politique » selon Le Monde) ou de santé publique, l’État sait profiter de tel ou tel effet d’aubaine pour avancer ses pions. Surveiller les contestataires d’une part, limiter les libertés individuelles, de l’autre. Nul complot là-dedans, simplement la pente commune à tout pouvoir : asseoir son autorité, mater ses opposants, contrôler ses marges. Il faut bien ça pour ne pas se laisser déborder quand l’insurrection s’installe chaque samedi et que le pays reste en état de choc. Heureusement, certaines libertés restent sacrées : Amazon ne fermera pas ; le Black Friday aura bien lieu.

Que des pavés répondent aux PV, que la violence des uns justifie la violence des autres, c’est bien sûr regrettable. Qu’ils portent la cravate ou la cagoule, les casseurs sont mauvais citoyens. Mais on ne m’empêchera pas de me sentir, au fond, plus proche du zadiste, même véhément, qui défend une zone humide que du technocrate, même bien élevé, qui veut la bétonner.

Alors que faire ? Face à « la dérive autoritaire du libéralisme », faut-il s’insurger ou s’exiler ? Dans notre éco-hameau, serions-nous des séparatistes qui s’ignorent ? Pas sûr. Après tout, Marianne et moi sommes fonctionnaires, et nos enfants sont inscrits dans l’école publique du village. Nous payons nos impôts et touchons les aides de la CAF. Et pourtant, comment nier que La Bénisson-Dieu soit pour nous une oasis dans le désert industriel ? Non pas certes un camp retranché, mais un havre où redéployer nos vies.

Vivre réconciliés

Il est vrai que nous quittons la Métropole, ses complexes industriels, ses centres de pouvoir et d’influence, sa concentration globalisée. Je ne suis plus allé à Lyon depuis un an, à Paris depuis trois. Je ne veux plus monter dans un avion, ni même un TGV, dépendre des grandes surfaces, payer pour me divertir, m’enfermer pour m’évader. Mes voyages ont pris la forme des saisons.

Ici, comme ailleurs, collectivement – et laborieusement – nous essayons de vivre, simplement : de retrouver les gestes immémoriaux de la vie, captés par le consumérisme. Coudre, cultiver ses légumes, son verger, faire son pain, son bois, ses tisanes, du troc… : rien que de très banal. Ce n’est pas là vivre séparés, mais réconciliés : avec la terre, le ciel, le silence et les visages familiers. Rien de sectaire, au contraire, rien de révolutionnaire non plus, à l’image du marché de petits producteurs qui, chaque mercredi sous nos fenêtres, mêle désormais, à l’initiative de Marianne, néo-ruraux et habitants de toujours. À l’écart de la ville, à l’abri d’une église, refaire peu à peu un travail, une économie, des coutumes, des fêtes, à notre taille – une commune libre.

Illustration de Victor Carpentier pour la revue Limite.

Cet édito ouvre le dossier politique du numéro 21 de la revue Limite consacré au séparatisme. Limite est la première revue d’écologie intégrale, l’essayer, c’est l’adopter !

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