Avec Yann Raison du Cleuziou, nous avons construit l’enquête de lectorat à lire en intégralité dans notre numéro 20. Pour ce sociologue, les lecteurs de Limite sont à la recherche d’un nouvel horizon politique. Bien que leur sociologie ne les invite pas à frayer avec des zadistes, Laudato Si’ a eu un effet Kiss cool sur eux : leurs positions en matière sociale et écologique sont, désormais, aux antipodes de celles de leurs congénères. Extraits.

Le lectorat de Limite est particulièrement diplômé, est-ce une découverte ?

Ce n’est guère surprenant pour une revue. Ce qui frappe, c’est la cohésion du lectorat. Il y a vraiment un noyau dur qu’il est possible de décrire par quelques tendances massives. Il s’agit tout d’abord d’une élite sociale. Le niveau de diplôme est éloquent avec 67,6 % de Bac +5 et 10,3 % de doctorants ou docteurs. Il y a 48,1 % de cadres et professions intellectuelles. Il s’agit ensuite d’une élite religieuse car 91,6 % des lecteurs se déclarent catholiques et 77,8 % d’entre eux vont à la messe chaque dimanche voire plus. à cela s’ajoutent 11 % de pratiquants mensuels. On a donc 90 % de pratique régulière alors que cela ne représente que 4,5 % de la population française (18 ans et +).

Nos lecteurs sont-ils des radicaux ou des mous du genou ?

Ils sont bien plus radicaux que leurs aînés. Chez les jeunes femmes catholiques pratiquantes, c’est très net avec la question sur la pilule contraceptive. Elles sont 56 % à la rejeter catégoriquement alors qu’elles ne sont que 38,4 % à prendre cette position parmi les plus âgées. Au sein du catholicisme, les jeunes générations sont plus conservatrices que les plus âgées. L’idée d’émancipation s’est déplacée au fil des générations. Il ne s’agit plus de s’émanciper d’une maternité fatalité aujourd’hui, mais au contraire d’assumer la possibilité de l’engendrement comme une liberté à contre-courant. Cette distance avec la pilule contraceptive est une tendance notable chez toutes les jeunes femmes, souvent en raison des risques liés aux pilules de 3e génération. à la sexualité libérée des années soixante est opposée une sexualité authentique parce que non polluée par les intrants… Cela crée un flottement réel entre le discours féministe des héritières des luttes des années soixante et les plus jeunes. Ce contexte permet de comprendre l’audience que rencontre Marianne Durano.

Vous avez insisté sur le noyau dur des lecteurs mais il y aussi tous les autres.

Autour du noyau dur il y a une diaspora de lecteurs. Je vois trois principaux univers d’origine dans ces marges. Tout d’abord une gauche antilibérale classique, lectrice du Monde Diplomatique, de l’hebdo Marianne et des livres de Jean-Claude Michéa ou d’Emmanuel Todd. Majoritairement composée d’étudiants et de jeunes professionnels, c’est aussi celle qui compte le moins de cadres (38 %) et le plus d’ouvriers (5 %) et d’artisans (8 %) dans votre lectorat. Elle contient tout de même 50 % de catholiques hebdomadaires et rassemble pêle-mêle un lectorat – très minoritaire – de musulmans, de protestants et d’athées. Disparates, ses membres se retrouvent autour de la figure de François Ruffin et votent majoritairement pour Jean-Luc Mélenchon. Ses catholiques sont aussi ceux qui se reconnaissent comme la « voix des opprimés » dans l’Eglise.

Il y a ensuite les alternatifs ou décroissants, qui sont moins soucieux de critiquer l’état que d’élaborer des voies concrètes pour développer un nouveau style de vie sobre et communautaire appropriable par tous. Agir local et se transformer soi-même pour transformer écologiquement son environnement pourrait être leur ligne. Laudato Si’ n’ a pas été une découverte pour eux, mais une confirmation. Ils se reconnaissent dans la figure d’un Dominique Bourg, sont inscrits dans une AMAP. Leurs lectures ? Jean-Marc Jancovici, Gaël Giraud et Cécile Renouard.

Enfin, dans ces marges, il y a des proches des droites anti-système ou anti-moderne. Défiants à l’égard des Verts et d’une écologie normative, étatique, ils sont interpellés par Limite pour son côté « anar ». Ils perçoivent la revue comme « écologiste catholique et de droite » donc s’adressant potentiellement à eux. Leur curiosité est aussi due à l’absence, dans leur milieu, de réflexion écologique élaborée. S’ils sont critiques vis-à-vis du capitalisme, ils privilégient le changement individuel à la révolution collective. Ils pensent très majoritairement qu’en cas d’effondrement on ne pourra compter que sur soi-même et ses proches. Souvent issus de l’Action française, ou lecteurs d’éléments, ils se reconnaissent dans des intellectuels comme Hervé Juvin et peuvent s’intéresser au survivalisme.

Je crois que c’est là une ligne de force de votre revue, ne pas s’identifier à ses lecteurs, mais, quel que soit leur ancrage, contribuer à les tirer vers un souci et un engagement écologique durable et profond.

Illustration de Victor Carpentier.

Cet entretien complet est à retrouver dans le 20ème numéro de la revue Limite. Si vous appréciez la lecture de la première revue d’écologie intégrale, abonnez-vous ! Il n’y a pas de meilleur moyen pour nous soutenir.

Paul Piccarreta