L’accouchement médicalement assisté est devenu une véritable expérience de dissolution dans un dispositif technologique. Demain, nos filles se verront offrir une procréation toujours plus artificielle. Ne sommes-nous pas déjà un peu trop pressées de nous brancher aux machines ?

Günther Anders appelle prométhéenne « la honte qui s’empare de l’homme devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même fabriquées ». Nos machines sont devenues si puissantes, si perfectionnées, que devant elles nous apparaissons « balourds, grossiers et obsolètes » (L’Obsolescence de l’homme, 1956). D’après Anders, notre honte porte au fond sur la naissance, trace indélébile de notre incapacité à nous auto-produire. Rongés par cette honte d’être nés, nous rêverions de nous intégrer au monde des choses fabriquées.

Naissance fabriquée

Peu d’entre nous admettraient ressentir une telle honte et un tel fantasme. Mais qui entre dans une salle d’accouchement moderne, dans un de nos gigantesques hôpitaux dernier cri, pourrait croire que c’est la salle qui accouche. Câblé, perfusé, le corps maternel pris en charge est une pièce organique parmi les pièces mécaniques et électroniques. Une spécialiste veille depuis la salle de contrôle, où tous les paramètres sont relayés sur ordinateur. On l’appelle encore une sage-femme, mais son travail est si procédurier, tout de protocoles et de comptes-rendus, qu’il n’est pas loin d’être mieux taillé pour une intelligence artificielle et quelques robots. Tout s’enchaînera selon les normes, professionnels et parturientes également mécanisés. La femme immobile attend son heure ; mais l’heure ne peut venir puisqu’elle a été programmée, à grand renfort d’hormones de synthèse, pour optimiser le planning et la sécurité. Elle dort, à moins qu’elle ne regarde la télévision. La sage-femme scrute sur un écran les chiffres et les lignes dont elle prend ses ordres. L’hôpital les enveloppe, bourdonnant, vivant de mille processus. C’est ainsi qu’est fabriquée la naissance sûre, contrôlée et confortable.

L’anesthésie est le sésame de cette techno-naissance. Elle effectue la transformation du corps maternel en un matériau docile et silencieux, et elle achète cette transformation, en offrant l’absence de douleur comme précieux lot de consolation. Accoucher sans perdre sa contenance est un comble du luxe moderne.

Il faut prendre au sérieux la douleur, la honte, l’horreur de la naissance. Un certain écologisme glorifie un ordre naturel bienveillant, et fictif, où la naissance serait forcément harmonieuse si elle n’est pas troublée par l’intervention artificielle. Ces écologistes-là se paient de mots, et finiront par faire le jeu des machines. Laissée à la nature, la naissance peut être épouvantable : le corps féminin est déchiré, brisé, la mort rôde. (…)

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