Entre une tournée des petites communes de sa circonscription de Meurthe-et-Moselle, des auditions à l’assemblée Nationale sur le partage de la valeur dans les entreprises, Dominique Potier est un homme très occupé. Agriculteur, socialiste et catholique, maire puis député hyperactif, il a déposé en juin un projet de loi pour une limite décente des écarts de revenus, qui rendrait les rémunérations supérieures à douze smics non déductibles de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Mais il lâche tout, sans hésitation, pour répondre à Limite, longuement, précisément, parce qu’il l’aime bien depuis le début, cette petite revue « délicieusement ambigüe ». Extrait.

Vous êtes un homme de terrain, sur votre territoire de Meurthe-et-Moselle: quels sont pour vous les visages de l’injustice, pour qui, pour quoi combattez-vous ?

Pendant la crise du Covid-19, j’ai accompagné la tournée d’une association d’aide alimentaire dans le quart monde rural. Un des visages de l’injustice qu’il m’a été donné de croiser fut celui d’un homme de 30 ans qui, cinq nuits par semaine, décharge des carcasses de viande dans un entrepôt de la métropole nancéienne avec ce que cela suppose comme risques, passé 40 ans, de troubles musculosquelettiques. En déduisant ses frais de mobilité, il lui reste moins de 900 euros pour vivre. Je me bats aussi pour cette auxiliaire de vie récemment rencontrée qui, au bout de dix ans de travail, gagne à peine plus que le SMIC. Je me bats pour que l’espace rural reste une terre promise pour tous les jeunes qui ont la vocation d’assurer la relève paysanne.

En fidélité à la promesse faite aux citoyens des milieux populaires qui m’ont élu, je me bats aussi pour les gamins du village et des quartiers urbains qui ne sont jamais partis en vacances, et qui n’ont jamais goûté l’apprentissage d’un instrument de musique. Et je refuse de considérer comme une fatalité leur prédisposition au diabète de type 2, très supérieure à la moyenne des autres petits Français.

Je me bats pour les enfants de Dacca et d’ailleurs, réduits à l’esclavage pour la fabrique de nos jeans, la récolte du cacao ou encore l’extraction de terres rares.

Je me bats pour les périphéries de notre abondance.

Vous portez politiquement l’objectif de limiter l’écart des revenus de 1 à 12 dans les entreprises. D’où vous vient ce projet ?

Cela repose sur une simple question éthique : peut-on vraiment se prévaloir, quel que soit son talent, de créer en un mois plus de richesses que quiconque en un an ? Il ne faut pas être oublieux de ce que Paul Ricoeur appelle notre « endettement mutuel » : nous sommes héritiers de l’œuvre de ceux qui nous ont précédés, et redevables de la communauté de travail à laquelle nous appartenons. L’échelle des salaires est un choix politique, qui traduit l’échelle de valeurs d’une société.

Limiter les écarts de salaire est constitutif du contrat social, mais aussi de notre dessein économique et écologique commun. La démesure dans la concentration des richesses génère des modes de vie insoutenables dans un monde aux ressources limitées : l’appât du gain, le consumérisme mimétique nous enferment, épuisent nos vies et la planète. à l’inverse, poser une limite à la possession matérielle ouvre la voie à un rééquilibrage avec d’autres sphères de l’existence.

C’est aussi une question de bonne économie. L’indécence, tout comme l’indolence, fragilise la conscience professionnelle et l’esprit d’entreprise. Il n’y a pas d’efforts sans justice sociale : une société moins inégalitaire est aussi une société plus productive et plus créative.

Tout nous invite donc à résorber les inégalités directement à la source de la distribution des revenus. Tandis que le partage inique de la valeur induit une désolidarisation effective au sein de l’entreprise, une limite aux écarts de revenus génère une solidarité mécanique entre les dirigeants et l’ensemble des salariés reconnus comme partie constituante de celle-ci.

Il faut relire Cécile Renouard et Gaël Giraud : « Contrairement à l’opinion répandue parmi les élites françaises, un salaire élevé n’est pas synonyme d’efficacité accrue. Il n’existe pas de marché parfait et complet des hautes rémunérations, qui allouerait équitablement le risque et le capital. De plus, le travail socialement utile n’est pas valorisé à sa juste mesure. Les hautes rémunérations ne sont fixées ni selon la logique d’un marché du travail concurrentiel ni en fonction de la logique contributive. » Le sujet est mondial, le chantier doit être européen. Nous voulons cependant que la France, sans attendre, fasse un premier pas contre les rémunérations excessives. La réduction des inégalités est la grande matrice politique de ces prochaines années, toutes nos politiques doivent y concourir, au risque de voir nos valeurs politiques emportées.

Cet entretien complet est à retrouver dans le 20ème numéro de la revue Limite. Si vous appréciez la lecture de la première revue d’écologie intégrale, abonnez-vous ! Il n’y a pas de meilleur moyen pour nous soutenir.