Philippe est éleveur à Saint-Genest-sur-Roselle, au sud de Limoges. Avec son frère, ils gèrent l’exploitation familiale, ses vaches à viande, ses moutons, et son verger de pommiers. Ce type de ferme, associant élevage et culture herbagère destinée au bétail, est majoritaire dans le Limousin, connu pour son climat favorable au développement d’une belle herbe verte dont raffolent les ruminants. Enfin, c’est ce pour quoi le Limousin était connu. Cette année, « ça déconne encore ».

Illustration de Charlotte Guitard

« Le climat est en train de changer et ce n’est pas une surprise. Le Limousin est une région historiquement verte avec une pluviométrie importante. Mais depuis quelques années, les précipitations sont irrégulières. On est début mai, on vient d’essuyer deux mois sans eau et là on repart sur une période pluvieuse et froide. Résultat, l’herbe ne pousse pas, et les conséquences sont immédiates sur la récolte du fourrage et les stocks à faire pour nourrir les animaux cet hiver. Et ce n’est pas tout, ces fourrages de moins bonne qualité ont des répercussions sur la santé des animaux et sur leur fertilité. La baisse des précipitations et l’inexistence de nappes phréatiques dans la région nous privent du nécessaire pour abreuver les animaux. On est obligés de trouver des alternatives pour donner à boire au bétail : récupération d’eau de pluie, canalisation des sources souterraines, création de forage, aménagement de berges ou de points de breuvage. Sur ma ferme, l’insuffisance de la source d’eau souterraine entrainait rapidement un manque d’eau l’été. J’ai recréé un dispositif de stockage à partir de vieilles sources, en appui au puits de ma ferme. J’ai rénové des tuyaux – installés par les grands parents autour de ces sources – pour canaliser l’eau vers une cuve enterrée de 7 500 litres et abreuver mes bêtes. Le trop-plein de la cuve va directement dans le cours d’eau naturel au fond de mon jardin par un système de canalisation. J’ai eu l’autorisation pour faire ces travaux car c’était une installation existante, l’impact sur le réseau hydrique est faible et l’eau ne peut pas s’évaporer puisqu’elle circule sous terre.

Dénicher des espèces résistantes

Ajouté à cela, les fortes températures compliquent l’alimentation du bétail. La période de croissance de l’herbe tend à se raccourcir, passant de 5 mois (mars à juillet) à 2 mois, avec un gros trou l’été en raison des fortes chaleurs. Elle ne peut croître au-delà de 22-24°C. Pour pallier cette situation, les éleveurs doivent essayer de produire le plus vite possible le fourrage au prin- temps et cultiver des espèces qui résistent, ce qui est un sacré défi. Une partie de la population agricole considère que pour faire face à la sécheresse il faut créer des dispositifs pour irriguer l’herbe plutôt que d’adapter les pratiques. S’il faut se mettre à irriguer des prairies pour avoir du fourrage, cela devient un non-sens ! Je préfère privilégier les pratiques respectant le cycle de l’eau : planter des espèces adaptées, diminuer le nombre d’animaux par hectare.

Ces changements climatiques représentent des coûts pour la profession : une baisse de revenus et de rentabilité et l’arrivée de nouvelles charges si l’on décide de changer les cultures. À l’heure de la remise en cause de l’élevage par de nombreuses figures médiatiques, le constat est sombre pour les paysans, touchés aussi par un vieillissement important. Il faut qu’on envisage de faire de l’élevage de manière différente. Je suis plutôt du genre optimiste mais les aléas climatiques successifs deviennent assez difficiles à encaisser, on ne sait plus trop quoi mettre en œuvre pour essayer d’assurer notre activité. On ne sait pas ce qu’on va faucher, c’est un peu inquiétant.

Cette situation ouvre la voie au développement de nouveaux modèles agricoles comme la méthanisation, la production de biogaz à partir de la décomposition des végétaux, qui ne sont bons ni pour la profession, ni pour le climat. La destination énergétique des terres se substitue à une destination alimentaire. Demain, nous produirons de l’énergie ici, pour acheter de la bouffe ailleurs. C’est une grosse connerie ! Ce sont des installations industrielles de très grande taille qui se regroupent pour cultiver des tonnes d’hectares, pour alimenter une machine à produire de l’énergie. Le souci ce n’est pas la technique. Le souci se sont ces entreprises, qui vont se faire du pognon sur le dos de l’agriculture, pendant que nous importerons notre viande du Brésil ! »

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