On n’a rien contre le jardinage, bien au contraire. Tailler son olivier, bichonner ses semis, offrir sa récolte de courgettes à la voisine, cela pourrait presque ressembler à un projet de société. Mais une écologie qui se gargariserait, et c’est déjà beaucoup, de nourrir sa famille et fleurir le jardin serait néanmoins insuffisante.

Elle participerait, à son insu, à la condamnation programmée des populations les plus pauvres. De même que s’inspirer du seul fonctionnement de la nature serait une erreur. Si les humains ont beaucoup à voir avec elle, confondre la société avec un écosystème est piégeux. Les humains ne s’y fondent pas comme un sucre dans le thé, ils vivent leur propre aventure – et de là tant de joies et tout autant de problèmes. Là-dessus, comme Amel Bent, nous n’avons qu’une philosophie : l’écologie intégrale est une écologie sociale, qui non seulement vise la pérennité du vivant mais surtout ne s’affranchit jamais du combat pour la dignité humaine. Car, dans bien des cas, « laisser libre cours à la nature » c’est laisser libre cours au divin Marché des hommes.

S’il existe une analyse définitive sur ce sujet, on la trouvera du côté du penseur écologiste libertaire Murray Bookchin. Dans les années quatre-vingt, le militant s’inquiète de la montée épidémique d’une écologie « spirituelle ». Derrière le mot, la trop connue pente malthusienne « qui ne voit pas de mal à laisser mourir de faim les pauvres ». Les inégalités ? Naturelles, répondent les tenants de cette écologie qui se prétend « profonde ». Les guerres ? Inévitables. L’exploitation des travailleurs pauvres ? Le simple effet de la surpopulation. « Ainsi, poursuit Bookchin, les problèmes écologiques sont vidés de tout contenu social et réduits à une interaction mythique de “forces naturelles” » (Qu’est-ce que l’écologie sociale ? Lyon, Atelier de création libertaire, 2003). On voit désormais pousser comme du lierre des écologies païennes, des rites vaudous, des cultes à la déesse de la pluie et des « écologies patriotes ». La simple culture de son potager et de son jardin intérieur pourrait s’accommoder de tous les désastres, de toutes les injustices.

De là l’exigence de penser la question sociale sans se mentir. Ce dont souffre l’écologie aujourd’hui, du moins dans sa représentation politique, c’est d’avoir cet angle mort de la question sociale. Pire, par certains aspects, l’écologie serait presque antisociale. Penser chaque réalité sous l’horizon de l’effondrement devrait pourtant nous aider à voir clair : outre les pénuries, les pandémies, les exodes massifs, c’est bien la guerre de tous contre tous qui prévaudrait si, au préalable, rien de profondément social n’avait été envisagé. Par « social », mot indécis, il faut bien sûr entendre digne, décent, juste. Il y a un chantier à ouvrir, chez les chrétiens comme ailleurs ; d’autres, meilleurs que nous, nous ont précédés dans la lutte.

De la paille

Car c’est une lutte, une double même. Contre nous, d’abord, et nos propres compromissions. Là-dessus, chacun s’arrange comme il peut (Limite ne fait pas dans le coaching ou le conseil spirituel, même si ce serait vendeur !). Une lutte, plus sûrement, contre les structures injustes. C’est ainsi que nous nous efforçons de penser, depuis 5 ans, une écologie totale, où l’on embarquerait tout le monde dans notre arche, le banquier et son client criblé de dettes, le zadiste et l’entrepreneur, le coco et la catho. Car la lutte doit être collective, sans quoi nous nous essoufflerions chacun de notre côté. Il est permis de rêver à ces compagnonnages de circonstance.

« Car c’est une lutte, une double même. Contre nous, d’abord, et nos propres compromissions. »

Ce dossier s’engage à garantir votre intégrité physique. Il n’y a pas de tirs de LBD, pas de grève de la faim, pas même d’oreilles qui saturent devant une sono. Nous ne posons que des mots sur le papier et des illustrations bien senties. En revanche, ces mots ne viennent pas de nulle part. Malgré des moyens modestes, nous prenons le temps d’aller voir, d’écouter, et de vous faire sentir. Pour le reste, nous laissons votre imagination travailler. Le député Dominique Potier est habité du même sentiment que nous. Depuis sa Meurthe-et-Moselle, il nous raconte être touché par « un homme de 30 ans qui, cinq nuits par semaine, décharge des carcasses de viande dans un entrepôt de la métropole nancéienne. En déduisant ses frais de mobilité, il lui reste moins de 900 euros pour vivre ». Il veut prendre soin de ces « gamins du village et des quartiers urbains qui ne sont jamais partis en vacances, et qui n’ont jamais goûté l’apprentissage d’un instrument de musique ». Il faut apprendre à se laisser heurter. Il faut désapprendre ce qui entretient nos léthargies et nous fixe dans nos canapés. Sans quoi, tous nos mots ne seraient que du vent. Du foin, « de la paille », lançait Thomas d’Aquin au soir de sa vie à propos de sa Somme théologique. Du jardinage, quoi

Cet édito ouvre le dossier du dernier numéro de la revue Limite. Pour le recevoir, vous pouvez le commander. Le meilleur moyen de nous soutenir, c’est de vous abonner !

Paul Piccarreta