C’est un rendez-vous important pour tous ceux qui veulent approfondir leur engagement écologique dans l’esprit de Laudato Si qui approche : du mercredi 27 au vendredi 29 novembre, à Lyon, aura lieu un colloque universitaire consacré à la fraternité universelle. Organisé par la chaire Jean Bastaire (cofondée par notre ami Fabien Revol au sein de la Catho de Lyon), il rassemblera des philosophes, des théologiens et des écologues. Isabelle Priaulet, l’une de ses organisatrices, nous en dit plus.

Pourriez-vous d’abord nous présenter la chaire Jean Bastaire ?



La Chaire Jean Bastaire est une structure portée par le Centre Interdisciplinaire d’Ethique de l’Université catholique de Lyon (Ucly). Son objet est de développer une approche éthique de l’écologie à travers le concept d’écologie intégrale. Pour ce faire, elle dispose d’une équipe pluridisciplinaire composée notamment de théologiens, de philosophes, de biologistes, d’une climatologue et d’un écologue. Le Colloque que nous organisons fin novembre est le fruit de cinq années de recherche de la Chaire, créée en 2015 avec le soutien de la Fondation Saint Irénée du diocèse de Lyon qui a recueilli l’héritage de Jean Bastaire.


– Pourquoi avoir choisi d’étudier la question de « la fraternité cosmique et spirituelle » ?



Au centre de notre questionnement se trouve l’ambition de donner un socle à la fois théologique et philosophique au « tout est lié » dont nous parle le Pape François dans l’Encyclique Laudato Si. Malgré l’héritage dont nous sommes porteurs (je pense à Saint François d’Assise bien sûr mais également à des personnalités comme Sainte Hildegarde de Bingen), beaucoup de chrétiens ont encore beaucoup de mal à penser la fraternité en dehors de la relation à Autrui : dans le cadre une communauté élargie à toutes les créatures. Or le message de l’écologie intégrale, c’est que ce que nous n’avons qu’un seul cœur : notre relation à nous-même, à Dieu, à autrui et aux créatures non-humaines sont une seule et même chose!

Dans le monde d’aujourd’hui, ce thème de la fraternité cosmique a des répercussions multiples. Des sujets tels que les droits du vivants, que ce soit les plantes ou les animaux, sont des sujets de réflexion éthiques sérieux et complexes. Certains pays ont commencé à reconnaître des droits à tout ou partie d’un écosystème (les fleuves par exemple)… Un autre enjeu important est l’alimentation. Ces thèmes feront l’objet de la troisième session du Colloque que nous organisons.


– En quoi l’approche théologique et philosophique peut-elle accompagner la conversion écologique ?


Comme le dit si bien le Pape François au chapitre 118 de Laudato Si : « Il n’y aura pas de nouvelle relation à la nature sans un être humain nouveau ». L’ambition de ce Colloque est de contribuer à rechercher les fondements à la fois ontologiques, éthiques et spirituels pour un tel changement anthropologique. La première session du Colloque propose de réfléchir sur « l’homme de l’écologie intégrale » en s’appuyant sur les ontologies relationnelles élaborées par des philosophes tels que Whitehead et Paul Ricoeur. Mais nous ferons également un pas vers l’écologie en donnant une nouvelle lecture de « l’écologie profonde » (deep ecology) développée par Arne Naess dans la perspective de l’écologie intégrale. Longtemps vécue par l’Eglise comme un repoussoir, l’écologie profonde peut-elle être aujourd’hui une source féconde d’inspiration? Nous montrerons notamment pourquoi, chez Naess, la reconnaissance d’une « valeur intrinsèque » du vivant – faisant écho à la « valeur propre » de l’Encyclique Laudato Si – ne signifie pas une fusion de l’individu dans le Tout, ni une dévalorisation du propre de l’homme, bien au contraire…

Mais nous ne nous limiterons pas à interroger d’autres ontologies relationnelles, la seconde partie du Colloque interrogera d’autres façons de « vivre la fraternité » à travers des notions telles que l’hospitalité, la convivialité chrétienne ou encore la solidarité inspirée du personnalisme de Jean-Paul II. Je crois qu’aujourd’hui la nécessité d’un changement de paradigme n’est plus à prouver, c’est presque devenu un combat d’arrière garde! Ce sur quoi nous avons à travailler c’est non plus seulement un changement de vision du monde mais une transformation de notre « affect du monde ». La question de l’empathie (et surtout du manque d’empathie) pour les autres créatures va devenir un sujet incontournable qui résonne directement avec le vécu de la fraternité chrétienne… Cette dévalorisation de la sensation figurera parmi les sujets abordés au cours de ce Colloque.


– Que répondre à ceux qui, notamment à la suite du synode panamazonien, s’inquiètent d’une dérive animiste de l’écologie intégrale ?


Il semble incontestable que les traditions amérindiennes notamment, dont le Pape se fait le défenseur dans Laudato Si, aient beaucoup nous apprendre sur ce thème de la fraternité pour les non-humains dans la mesure où, pour ces peuples, les relations avec la faune et la flore peuvent se qualifier dans le langage de la parenté.

Derrière les critiques adressées à l’écologie intégrale (comme à la wilderness et l’écologie profonde d’ailleurs), il y a la peur du retour à une forme de néo-paganisme dans laquelle la nature serait sacralisée. Je pense que le caractère inspirant de ces traditions ne réside pas là mais dans la façon dont elles nous apprennent à renouer avec un monde de pensée symbolique pour lequel le sens est indissociable du substrat sensible qui le porte. Aux excès de l’intellectualisme qui guette certains penseurs chrétiens, ces peuples autochtones opposent une « écologie du sensible » selon les termes de Tim Ingold.

Comme nous l’enseigne le Pape François, en recouvrant notre capacité à lire dans la Création le Signe de la Présence divine, c’est un chemin d’accès à notre propre sacralité de Créature que nous retrouvons : « Lire notre propre sacralité en déchiffrant celle monde » (LS, §.85). Pas de sacralisation de la nature mais une lecture sacramentelle de la Création!

A travers la théologie symbolique de Saint Bonaventure (l’âme miroir du monde) ou encore de la pensée des correspondances Hildegardienne, nous nous engagerons dans cette voie des spiritualités cosmiques dans la dernière partie du Colloque.



– A qui s’adresse votre colloque ?



Il y aura un premier temps fort le mercredi 27 novembre au soir destiné à sensibiliser le grand public avec des invités de marque comme le Cardinal Turkson et des philosophes spécialiste de la question écologique. La seconde partie du Colloque sera plus universitaire dans sa forme mais ouverte au débat avec la société civile dans le cadre de tables rondes au terme de chaque session.

A l’heure où de plus en plus de penseurs de l’écologie pointent du doigt la nécessité d’un dialogue avec les spiritualités pour jeter les bases d’un nouveau « vivre ensemble », c’est le moment de venir puiser les ressources que peut offrir un tel Colloque. Pour les chrétiens convaincus, c’est l’occasion de remettre en cause certains pré-supposés sur les pensées de l’écologie…

– Enfin, vous venez de soutenir une thèse de philosophie intitulée « Pour une ontologie de l’écologie. Penser les fondements philosophiques de la conversion écologique ». Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?



L’objet de ma thèse à été de contribuer à donner un socle philosophique (et spirituel) à la merveilleuse intuition du Pape François sur la « conversion écologique ». Pour ce faire, j’ai dû traverser un champ philosophique relativement vaste. J’ai commencé à m’intéresser aux pères fondateurs de la notion de conversion : les grecs! J’ai tenté de montrer que du temps des stoïciens et des épicuriens déjà, la connaissance de la nature (physis) était une partie intégrante de la conversion du Soi mais qu’elle n’appelait pas encore une véritable « conversion écologique ». J’ai ensuite tenté de montrer les apports de la metanoia (conversion) chrétienne par rapport à la metanoia (et à l’epistrophè) grecque. Dans une dernière partie, j’ai poursuivi l’analyse dans un champs d’immanence, celui de la philosophie (Merleau Ponty principalement) et de l’écologie contemporaine (wilderness et écologie profonde), en mettant en évidence le fil rouge par rapport aux modalités grecques et chrétiennes de la conversion mais également la nécessité d’un dépassement pour passer d’une conversion du Soi à une véritable « conversion écologique ».

Inscription au colloque : en ligne ou par bulletin d’inscription