Dans Il est où, le bonheur ? (Les liens qui libèrent, 2019) François Ruffin, fondateur du journal Fakir et député, lance un appel. Paraphrasant Martin Luther King et Ambroise Croizat, père de la Sécu, il écrit : « j’ai fait un rêve que je vous livre : celui d’un Front populaire écologique ».

Comment faire de l’écologie un nouveau moteur de transformation sociale ? Comme souvent, François Ruffin est en colère. Il reproche aux élites libérales de ne pas prendre la mesure de l’urgence écologique. Pire, elles auraient la fâcheuse tendance à faire endosser aux plus pauvres le coût de la transition énergétique. En somme, la faute aux réfractaires au changement, qui fument des clopes et roulent au diesel. Chiffres à l’appui, il rappelle des évidences souvent oubliées : la pollution est proportionnelle au niveau de vie.

François Ruffin entend au contraire démontrer que la question sociale et la question écologique se nourrissent mutuellement. Le député « insoumis » voit dans l’écologie la force de convergence des classes moyenne et populaire, « les deux cœurs qui s’ignorent », dont seule la réunion a permis la victoire de la gauche dans l’histoire.

Assumer le conflit

François Ruffin retrace l’histoire des luttes sociales comme pour éclairer celles à venir pour l’écologie. Rien n’a été conquis sans un rapport de force préalable, aucune victoire sociale n’est allée de soi. Ce qui nous semble une évidence aujourd’hui a été arraché de haute lutte. L’interdiction du travail des enfants, la journée de 8 heures, les congés payés ont fait l’objet de bras de fer souvent violents entre syndicats et patronat. Ce sont des lois et non la vertu personnelle qui ont permis de bâtir la protection sociale et l’État-Providence.

Et il se désole qu’aujourd’hui encore, le consensus mou soit la règle en matière d’environnement. Ce que Ruffin combat, c’est cet unanimisme lénifiant, le pédagogisme, les petits gestes du quotidien, la responsabilité individuelle, la peur d’une « écologie punitive ». Le même conformisme habitait déjà les discours de ceux qui expliquaient que l’interdiction du travail des enfants reviendrait à « sacrifier l’industrie ».

Dans une veine qui rappelle le philosophe Claude Lefort, Ruffin s’emploie à montrer qu’une démocratie qui fonctionne est une démocratie qui laisse toute sa place au conflit. La démocratie est menacée quand le conflit est nié, quand la recherche d’un consensus factice étouffe toutes les divergences. Le résultat est sempiternellement le même :  les positions sont figées et les intérêts de ceux qui sont en place sont maintenus.

La crise écologique aiguise la lutte des classes. C’est une guerre qui fait des morts rappelle François Ruffin, mentionnant l’histoire de Chico Mendes, syndicaliste et militant écologiste brésilien, assassiné en 1988 parce qu’il dérangeait l’agro-business. Un chiffre, au passage : en moyenne, quatre militants écologistes sont assassinés chaque semaine.

En appelant à la sobriété, François Ruffin pose les bases d’une politique de décroissance, un terme que la gauche a encore bien du mal à endosser. S’écarter du carcan productiviste, lutter contre le consumérisme, prôner la coopération plus que la compétition. La conversion écologique passe d’abord par un changement d’horizon du progrès : « consommer moins, répartir mieux ».

François Ruffin, le Christ et l’espérance

Si le constat efficace et l’appel vibrant de François Ruffin n’apprendront rien à nos lecteurs biberonnés à Laudato Si’, il en est différemment de la confidence à laquelle le député de la Somme se livre à la fin de l’ouvrage. Dans les chapitres 46 et suivants, intitulés « Où est passée l’espérance ? », Ruffin discute avec le journaliste Jean Birnbaum du rapport qu’entretient la gauche avec la religion. Si la critique du veau d’or rejoint celle du « fétichisme de la marchandise », la gauche et le christianisme partagent aussi une même espérance.  La gauche a perdu pied en ne portant plus un idéal, une tension vers un horizon « au-delà des misères du présent », citant au passage Péguy. François Ruffin en est persuadé, la grande force de la gauche est d’abord spirituelle. « Est-ce que le communisme n’était pas avant tout un désir de communion ? ». 

François Ruffin assume un rôle spirituel et prêche une parole libératrice au service de l’espérance.

Le Christ, François Ruffin en parlait déjà dans un livre entretien avec l’évêque d’Amiens Mgr Leborgne, Paix intérieure et paix sociale (Temps présent, 2018). De Jésus il retient, « la puissance de la parole, le verbe qui s’est fait chair. Il y a la compassion. Et puis la lutte contre les marchands du temple. Les prophètes ont un rôle dans la cité, indépendamment de l’existence de Dieu. Celui de venir nous amener vers un au-delà, de dire qu’il n’y a pas que le pognon dans la vie »[1].

François Ruffin, Martin Luther King et le populisme

« J’ai fait un rêve », répète-t-il. On peut sourire devant Ruffin paraphrasant King.  Et pourtant… Il y a chez Ruffin un peu de Martin Luther King, une fibre populiste, une décence commune, un respect envers les petites gens que partagent le pasteur protestant et le « chrétien non croyant ».  Christopher Lasch inscrit le mouvement des droits civiques dans la tradition populiste américaine. « Martin Luther King était un libéral dans sa théologie de l’évangile social, mais c’était un populiste quand il soutenait que les Noirs devaient assumer la responsabilité de leur vie et quand il faisait l’éloge des vertus petites bourgeoises : travailler dur, rester sobre, chercher son progrès intérieur »[2]. Martin Luther King revendiquait pour les siens, non pas un statut de victime, mais un même degré d’autonomie et de confiance en soi que le reste des Américains. C’est ce combat pour la dignité et l’espérance que l’on retrouve chez François Ruffin.


[1] Bernard Gorce et Stéphane Bataillon, « François Ruffin, la parole contre l’indifférence », La Croix, 10 novembre 2018

[2] Christopher Lasch, La révolte des élites et la trahison de la démocratie, Champs Flammarion, Paris, 2007

Le livre de François Ruffin peut être lu ici :