Qu’avons-nous à apprendre de la médecine cubaine ? L’épidémie de Covid 19 a mis en lumière les prouesses médicales de la petite île des Caraïbes. Les médecins cubains sont venus prêter main-forte aux systèmes de soins débordés partout dans le monde, y compris en Italie et en France. La journaliste Maïlys Khider signe Médecins cubains, les armées de la paix (LGM, 2021), une enquête aux origines du système de soins cubains. 

Avril 2020, quinze médecins cubains foulent le sol français. Ils viennent prêter main-forte aux hôpitaux de la Martinique, mis en tension par l’épidémie de Covid. Face à l’insistance d’élus locaux, un décret gouvernemental a autorisé peu de temps avant les médecins cubains à opérer sur le territoire national.  

Comment ce petit pays, considéré par certains comme une dictature, en vient-il à se porter au secours de pays développés en pleine pandémie ? Habitués des théâtres africain et sud-américain, leur intervention dans des pays riches a suscité tantôt l’étonnement, tantôt la suspicion.

La réponse est complexe et la journaliste Maïlys Khider a décidé d’y consacrer une enquête de terrain. Elle a séjourné plusieurs fois à Cuba pour rencontrer des médecins cubains engagés sur tous les grands théâtres de crise sanitaire du monde : guerre civile en Angola, séismes au Pakistan et à Haïti… En 2014, Cuba est le premier pays à déployer des médecins en Afrique de l’Ouest pour faire face à l’épidémie d’Ebola. Les médecins cubains combinent interventions d’urgence et programmes d’aide à long terme, comme au Venezuela ou au Brésil où ils s’installent dans les déserts médicaux. 

Gratuité, universalité et prévention

En matière médicale, Cuba multiplie les prouesses depuis longtemps. Au lendemain de la révolution, Fidel Castro fait de la médecine un pilier de son régime pour pallier l’exode de nombreux praticiens. L’industrie pharmaceutique est nationalisée et la santé rendue gratuite et accessible à tous. Le modèle de santé cubain se construit sur trois fondamentaux : gratuité, universalité et prévention.

L’accent mis sur la prévention et la médecine de proximité font baisser la mortalité et les dépenses de santé. Aujourd’hui l’espérance de vie et la mortalité infantile à Cuba sont meilleures que dans un bon nombre de pays du Nord. En 2015, l’île est devenue le premier pays du monde à éradiquer la transmission du VIH et de la syphilis de la mère à l’enfant. Face au vieillissement de sa population, Cuba développe des traitements de pointe pour combattre le cancer et la maladie d’Alzheimer. Au cœur de la pandémie de Covid-19, l’industrie pharmaceutique cubaine a produit cinq vaccins, dont deux à l’efficacité reconnue. 

Dès les années 1960, le régime castriste soutient les mouvements révolutionnaires en Afrique et en Amérique latine en envoyant des médecins soigner les combattants. Au fil du temps, les expéditions médicales sont devenues pour Cuba un véritable business. Les prix varient en fonction du pays et la plupart des interventions d’urgence dans les pays pauvres sont bénévoles. Les revenus liés à l’envoi de médecins et de coopérants s’élevaient en 2013 à dix milliards de dollars selon les chiffres cubains, quand la commercialisation de médicaments et de produits de santé pèserait cinq milliards par an. À titre de comparaison, le tourisme sur l’île ne génèrerait qu’un peu plus de deux milliards d’euros chaque année. 

Médecins cubains, les armées de la paix (LGM éditions), 120 p. 9 euros

La médecine face à l’embargo

Les médecins cubains sont également une manière de contourner l’embargo américain qui frappe l’île depuis 1962. Depuis plus de vingt ans, Cuba et le Venezuela s’échangent ainsi pétrole contre personnel médical. 

Les États-Unis et les régimes de droite sud-américains mènent la vie dure à ce qu’ils considèrent comme des « esclaves modernes ». Une partie de la presse occidentale réagit avec suspicion aux exploits des médecins de Fidel. Le livre met à jour une chaine de désinformation mêlant médias, ONG et gouvernement américain au service de la critique du modèle castriste. La réussite cubaine en matière de médecine et de santé publique est un véritable affront à l’embargo et à l’ostracisation voulus par le géant américain.

Curieuse réalité que ce Cuba où les étalages des marchés sont vides mais qui a développé une politique d’exportation massive de médecins et de technologie médicale. Des médecins dont les conditions de travail sont opaques et sources de fantasmes. Leur rémunération ne représente qu’une petite partie des contrats signés par le gouvernement et leur liberté de mouvement est contrôlée. 

Le paradoxe cubain

Tous les médecins interrogés par Maïlys Khider décrivent les conditions de travail difficiles, l’éloignement douloureux, un véritable « sacerdoce », mais tous témoignent également de la noblesse de leur mission. Beaucoup s’étonnent que dans certains pays la médecine soit soumise aux lois du marché. 

Le système de santé cubain n’est pas parfait. Paradoxalement, la médecine à Cuba souffre de pénuries, parfois d’un manque de main-d’œuvre. Alors même que le gouvernement envoie des médecins partout dans le monde, les Cubains peinent à trouver chez eux certains médicaments. Le blocus américain sur l’île y est pour beaucoup. Le livre de Maïlys Khider met en lumière la dure réalité de l’embargo sur la santé des Cubains.  

Malgré les témoignages, le livre n’aborde pas de front la question des conditions de travail des médecins, leur niveau de rémunération, les revenus générés par l’État, bref tout ce qui aujourd’hui fait l’objet de polémiques et nourrit une propagande anti-cubaine bien réelle. Mais ce livre est une piqure de rappel à l’heure où les hôpitaux français sont soumis à une logique économique mortifère. Gratuité, universalité et excellence peuvent aller de pair. « La santé est un droit, pas une marchandise ». 

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