Le 18 février dernier, un robot a débarqué sur Mars, à quelque 55 millions de kilomètres de chez moi. Sidération. Célébration. Émoi. Le monde n’en revient pas. Dans les villas et les chaumières, chacun se prend à rêver. « Maman, je serai Neil Armstrong ou rien ! » « Papa, j’irai pisser sur Mars ! » D’ailleurs, le rover de la NASA est équipé d’un micro toulousain. Cocorico ! Le coq gaulois chante sur la planète rouge ! Et France Info de s’extasier : « en pleine pandémie, un tel progrès, ça donne espoir ! ». Persévérance (c’est son nom), en attendant, photographie à tour de bras d’abruptes immensités rocheuses où l’on ne voit rien. Nulle âme qui vive, c’est reposant. Pour nous désennuyer de nos « visios », quoi de mieux qu’une petite « e-visite » du cratère d’impact Jezero, où, paraît-il, il y a environ 3,6 milliards d’années, se trouvait un lac (avec de l’eau dedans) ?

Le comble, c’est qu’au moment même où « Persévérance » posait ses grosses mandibules sur Mars, l’ONU croyait opportun de présenter un énième rapport catastrophiste. Comme quoi, soi-disant, dans une « entreprise absurde et suicidaire », « nos activités soumettent la planète à une pression extrême ». Et que je te dramatise la situation pour faire pleurer dans les tiny houses. Et que j’en fais des tonnes sur les « conséquences toxiques de la croissance économique ». – Mais sortez de vos yourtes, bon sang, ouvrez les yeux : l’avenir est sur Mars ! C’est même Elon Musk qui l’a dit !

Le secrétaire général des Nations unies n’avait pas dû, ce jour-là, allumer sa radio.

Refaire connaissance avec la terre et tous ses habitants, voilà de quoi occuper une vie, et une humanité

Un livre récent, assez bouleversant, se fait justement guide d’atterrissage : Manières d’être vivants (Actes Sud, 2020). Pisteur de loups et prof de philo, Baptiste Morizot nous y invite à « imaginer une politique des interdépendances », une diplomatie qui nous permette de vivre en bonne intelligence avec les « autres qu’humains » : « L’énigme toujours intacte d’être un humain est plus riche et plus poignante quand on la partage avec les autres formes de vie, quand on leur prête attention, quand on fait justice à leur altérité ».

Car dans notre quête effrénée d’extraterrestres, ne le devenons-nous pas nous-mêmes ? Rêver de Mars, n’est-ce pas déserter la Terre ? Nous savons combien il faut de diplomatie pour réussir à vivre en bon voisinage avec nos semblables (ce numéro en témoigne). Mais refaire connaissance avec la terre et tous ses habitants, voilà de quoi occuper une vie, et une humanité.

« La terre – je ne demande pas plus

Je ne demande pas que les constellations soient plus proches,

je sais qu’elles sont très bien là où elles sont,

je sais qu’elles suffisent à ceux qui les habitent. »

(Walt Whitman, « Le chant de la grand-route », Feuilles d’herbe, 1855 – cité par Baptiste Morizot).