En 2012, l’émission « Les conteurs » d’André Voisin propose au grand public une étonnante et bouleversante rencontre, celle d’Anjela Duval, une humble et pauvre paysanne-poétesse bretonne dont l’authenticité et la sensibilité au monde, et particulièrement à la nature, ne peuvent qu’interpeller et émouvoir. Ainsi son amour de la vie et des êtres transparaît-il toujours dans des textes simples et lumineux qui parlent directement au cœur et à l’âme.
Un article écrit par Catherine de Floris.
Qui n’aime pas
Qui n’aime pas l’eau n’a pas le cœur vrai
Qui n’aime pas le pain ne sait pas juger la terre
Qui reste chez lui n’aime pas le vent
[…]
Qui n’aime pas le feu hait la Vie ou la craint
Flamme liquide et brûlure de bonheur
Qui forge les troncs, sculpte les branches
…
« Une ferme, c’était tout un poème », nous dit-elle. Tous les champs avaient des noms, de jolis noms, et chaque nom était comme le titre ou les vers d’un poème. « Mais maintenant, qu’est-ce qu’on a abattu des talus, il y a trois, quatre, cinq champs dans le même champ ! Allez chercher les noms parmi tout ça ! »
Le talus
…
Mais que vois-je ? Ce n’est pas la mort !
C’est un grand diable armé de griffes
Qui s’en vient me hacher, me dépecer
Le bulldozer rouge à l’énorme pelle
Vient m’ensevelir dans la fosse
Ah, que l’acier de tes griffes
Trempe dans le sang pur de mes racines
Ainsi que les mains du bourreau
Dans celui du martyr !
Tandis que mon âme flottera légère
Dans le duvet de ma poussière
Nuage porté par le souffle
Très haut par-dessus les collines
Vers un Paradis,
Le Paradis des vieux talus
« Celui qui n’a pas de terre n’a pas de racines », poursuit-elle. « Je suis née là, j’ai toujours vécu là, ça fait partie de moi-même. »
Ma petite maison
Elle est là
Depuis un demi-siècle :
Ma petite maison bien-aimée.
Mon père en avait extrait la pierre
A la pelle, à la pioche
De ses terres
…
« La terre me parle, je lui réponds. J’écris surtout pour la terre. Je voudrais transmettre le message de la terre. »
C’est en ces termes qu’elle exprime son rapport intime à la nature. Elle écrit à la nuit tombée, après sa rude journée de travail aux champs, sur un cahier d’écolière dans sa petite ferme de Traoñ an dour – un hameau isolé du Trégor – des poèmes vrais, sobres et profonds dont les thèmes principaux sont la terre, les animaux et la nature.
Poèmes de nuit, poèmes de jour
Si j’écris à l’ombre de ma lampe
Des vers maladroits et creux
Avec ce petit outil mal assuré dans ma main lasse
Si j’écris le soir au dos d’enveloppes
Des poèmes humbles : camelote
Où l’on ne trouve que des fleurs sauvages
Et quelques miettes d’amour
Car tout cela je le fais pour ceux que j’aime.
…
Marie-Angèle Duval naît en 1905 dans une modeste famille de cultivateurs de Vieux-Marché, dans le Trégor. Silhouette frêle à l’accent trégorois bien marqué, pleine d’humour et de malice, elle a une très forte personnalité et une incroyable grandeur d’âme. Son immense courage et sa bonté profonde irradient ses écrits.
Fioretti ou les mini bonnes actions
Dire un mot gentil à un homme en colère.
Sourire à un homme triste.
Caresser le front d’un enfant troublé.
Faire la conversation à une personne âgée.
Donner des nouvelles du pays à un ami exilé.
[…]
Semer des miettes de pain dans la neige pour les petits oiseaux.
Remettre dans le nid un oiseau tombé à terre.
Dire un mot gentil en faveur de celui dont on dit du mal.
Elle fait ses études chez les Sœurs de Trégrom et y apprend le français. La langue bretonne est encore omniprésente dans ce Trégor rural.
Refusant de suivre un marin fréquenté dans les années 20, Anjela Duval est restée célibataire, se consacrant à sa terre et à sa poésie. Ainsi demeure-t-elle toute sa vie à la ferme de Traoñ an dour, à la fois foyer et source d’inspiration poétique. Et c’est le soir, en dépit de la fatigue, qu’elle écrit ses poèmes et sa nombreuse correspondance.
La peine et le plaisir
Le soleil brûle. La terre est torride.
Pliée en deux depuis des heures et des heures
A des travaux difficiles, je vais défaillir,
Les coups de mon cœur me battent aux oreilles
Eblouie, étourdie, jusqu‘au vertige.
Il vaudrait mieux que j’arrête ou je tombe.
[…]
Grâce à la fraîcheur qui souffle sous le chêne
Mon sang s’apaise. Mes forces reviennent,
Ma fatigue s’enfuit, ma vue s’éclaircit.
J’ai sous les yeux le plus beau des tableaux !
…
Sa vocation littéraire est assez tardive. Elle est avant tout paysanne. Elle rédige ses premiers poèmes en breton à la fin des année 50. Ses textes commencent à être publiés en 1962 dans plusieurs revues. Ils reflètent avant tout son attachement à la terre mais aussi son amour des bêtes…
Fido
Ah ! Mon chien ! Dieu sait ce qui se passe entre nous
Entre ton instinct et l’Ame de ta maîtresse
Lui seul sait et pourquoi et comment
Tu te nourris de son regard, tu meurs de sa mort
…
… et son émerveillement face à la nature.
La feuille
Des deux côtés du Léguer noir
Les rangs de peupliers minces
Jettent au ciel leurs mâts droits.
De-ci de-là un frêne :
Tulle vert qui tremble dans les souffles.
La surface tranquille de l’eau : miroir clair
Qui renvoie l’image :
Moutons d’un blanc exquis dans le ciel bleu
…
Elle s’engage en politique, développe une sorte de conscience écologique et se montre particulièrement méfiante vis-à-vis du progrès. Sa solitude assumée, le soir au coin d’un feu auquel elle rend toujours hommage, donne naissance à des vers intenses et spirituels.
Méditation
Toute seule ! – comme tous les soirs – la maison paisible
Toute seule avec le poids de mes pensées
Mes pensées qui cherchent un chant par où s’élever
Et s’ouvrir
Méditation…
[…]
Parfois c’est comme une prière : prière du foyer
Autel sacré de la maison.
Parfois il me semble que c’est un chant.
Parfois un gémissement. Ou un murmure. Une plainte…
Sa fumée épaisse et bleue s’élève comme un encens.
…
La rudesse et l’austérité de sa vie transparaissent néanmoins de façon pudique dans certains poèmes.
Interdit
Mon mal d’être. Mon amertume
Je ne connais pas l’ennui.
Je n’ai pas le droit de les mettre dans mes vers.
Dans le coin le plus sombre de mon cœur
Il faut que je les garde au secret.
Personne ne doit savoir mon calvaire
Si ce n’est Celui qui nous a montré le Chemin.
Défense de déposer ces fardeaux
Sur les épaules des jeunes.
…
Mais pour elle le plus important est d’être libre. « Je n’ai pas une âme servile », confie-t-elle avec un sourire espiègle. « Je sais très bien que je ne suis pas comprise, mais ça m’est égal, parfaitement égal, du moment que je me comprends moi-même. »
Liberté
La formidable magie de ton nom
Sème la folie de par le monde !
[…]
Le peuple t’élève de grandes statues
Le poète de dédie des milliers de vers
Tous les êtres sont amoureux de toi
…
De partout, des jeunes venaient la rencontrer, « boire à la source », comme elle le disait elle-même, s’inspirer de la plénitude de son existence, apprendre à être, tout simplement.
Anjela Duval laisse derrière elle une œuvre unique et originale, éditée en 2000 dans sa totalité. On retrouve quelques-uns de ses plus célèbres textes chantés par des artistes bretons, et de nombreuses rues de Bretagne portent son nom.
Tous les extraits de poèmes sont traduits du breton.
- Anjela Duval : un chant venu de la terre - 05/30/1998
Magnifique ! merci de rappeler la simplicité nécessaire à la vie « vraie »
sagesse de cette Angela Duval,malheureusement trop peu présente dans le rythme actuel du XXIè .
Az