Assomptionniste, Dominique Lang est l’une des voix importantes de l’écologie d’inspiration chrétienne en France. Il met sa plume au service de la conversion écologique dans trois nouvelles publications à l’occasion des cinq ans de Laudato Si. Entretien.

Prêtre et journaliste, vous vous intéressez depuis longtemps aux questions d’écologie. Comment y êtes-vous venu ?

Je suis venu à l’écologie du fait d’abord de ma sensibilité personnelle, avec une grande amitié ancienne avec les arbres par exemple. Mais aussi du fait mes études de biologiste. Puis enfin, du fait de la rencontre d’écologistes et de scientifiques engagés qui m’ont aidé à comprendre les enjeux de ces questions. Tout en découvrant en même temps, que ce champ d’étude et de réflexion était à peine défriché dans le monde théologique et paroissial français il y a une quinzaine d’années. Ce qui n’est plus vraiment le cas aujourd’hui, et c’est tant mieux.

A l’occasion des cinq ans de Laudato Si, vous publiez avec Le Pèlerin différents livrets. Qu’est-ce qui a guidé votre travail ?

Nous publions avec Le Pèlerin le premier guide de 50 lieux chrétiens animés par les intuitions de l’encyclique du pape François. Une manière très concrète de témoigner que les choses avancent et qu’il est temps d’aller à la rencontre de ces lieux dont la diversité permet d’aborder de nombreuses dimensions des enjeux de l’écologie intégrale. Car, au final, ce n’est que dans la rencontre concrète, dans le lent tissage des liens et dans l’ouverture des espaces de travail, de prières, de dialogues et d’engagement que l’écologie chrétienne trouvera sa pertinence et sa crédibilité. Car l’écologie intégrale a besoin de lieux pour s’incarner concrètement, même en partie seulement. Des lieux où on peut travailler autrement la terre, faire du lien intergénérationnel et inter-communautaire, prendre soin de la biodiversité (à quand une grande ONG catholique sur ce sujet ?), manifester sa solidarité avec les artisans de justice et de paix à travers le monde etc. Dans Le Pèlerin, nous avons publié aussi un cahier central, rédigé par Christophe Chaland, qui présente des initiatives paroissiales nouvelles dans ce sens. Enfin, cet été nous allons à la rencontre de défricheurs de l’avenir, pour comprendre quel sens ils donnent à leur engagement dans des sites à découvrir.

Le Pèlerin, hors-série, 50 lieux pour changer nos vies. Dominique Lang. Bayard Presse (juin 2020)

Par ailleurs, je publie aux éditions Bayard un ouvrage (Générations Laudato si) qui rassemble un certain nombre de convictions que je partage au fil des rencontres, des conférences, des interventions que je donne depuis une dizaine d’années dans les paroisses, les communautés, les monastères. Un regard de journaliste sur la vie des communautés chrétiennes en France à partir de cet appel à une conversion profonde dans les pratiques et les solidarités. Où l’on voit que s’il reste beaucoup à faire, on pressent que les appels du pape François continuent à retentir et à descendre peu à peu dans le tissu paroissial et pastoral des Eglises.

Générations Laudato Si’. Dominique Lang. Bayard Presse (Juin 2020)

A travers votre site, Eglises et Ecologie, consacré à l’actualité de la prise de conscience écologique chrétiennevos textes, vos interventions, vous êtes sans doute l’une des personnes les mieux informées sur le développement de l’écologie intégrale. Qu’est-ce qui vous frappe le plus depuis cinq ans ?

Sans doute le fait que ce thème, qui risquait d’être noyé au milieu de beaucoup d’autres, se renforce au contraire d’années en années. Bien sûr, cela reste compliqué parce que l’écologie est une thématique très clivante dans la société française, surchargée de débats politiques, militants. Mais dès qu’on élargit un peu le regard, on se rencontre que cette thématique rejoint de plus en plus une large frange de chrétiens, notamment dans les générations montantes, qui y trouvent des raisons nouvelles d’engagements, de mobilisations et de créativité pastorale et sociale. C’est très frappant à l’étranger notamment.

A Limite, on est bien placé pour savoir que, même au sein du petit monde français Laudato Si, les controverses sont parfois vives. Comment sentez-vous ces débats évoluer ?

Je suis pour ma part assez sensible à ce que chacune de nos existences puissent avancer non pas dans la crispation d’une posture, mais dans la tension entre plusieurs attitudes fondamentales. L’une d’entre elle, biblique, est celle qui nous tient entre l’urgence de la dénonciation prophétique (et Dieu sait qu’il y a de quoi faire) et aussi l’importance du recul de la sagesse, on pourrait dire du bon sens. Même Jean le Baptiste, la grande voix qui criait dans le désert, a vécu ce temps d’une forme d’impuissance au fond de sa prison où il continuait de chercher qui était le Christ. Les Evangiles ont gardé la trace de son courage dans ce temps d’impuissance et d’une certaine manière, cette attitude là aussi continue de porter du fruit dans nos communautés. Pour chacun de nous, il y a un temps pour lutter et il y a un temps pour semer. Il y a un temps pour contester et un temps pour attester. Sinon, on risque la crispation idéologique où la complexité du monde se réduit dans une grille de lecture unique qui m’empêche d’accueillir l’autre, et pire encore d’aimer mes « ennemis ». Or c’est bien le défi auquel nous expose l’Evangile. Pour le reste, l’accélération de nos modes de communication, avec son lot d’excès et d’infox, m’inquiète parce que nous risquons fort de stériliser notre capacité à dialoguer, à faire confiance, à croire au champ démocratique ou à la capacité de convers(at)ion des uns et des autres. Si nous perdons cette espérance-là, alors à quoi bien peut servir notre foi dans le débat social ? En relisant des textes des années 60-70, où les débats étaient aussi très vifs, je retrouve ces formes d’excès dans les expressions qui finalement ne font que conforter chacun dans ces certitudes, mais empêchent le plus grand nombre de cheminer. Or tout l’enjeu est de penser des « processus de conversion » durables…

Si vous deviez ne garder qu’un seul paragraphe de l’encyclique, ce serait ?

Comment voulez-vous répondre à une telle demande ? Ce texte est si riche d’intuitions diverses. Pour moi, c’est indéniablement une encyclique générationnelle, qui accompagnera l’engagement de chrétiens sur plusieurs dizaines d’années. Je trouve très beau que ce pape sème aussi dans ce grand texte théologique et parfois technique, des petites perles d’intuitions spirituelles accessibles à tous. Tout en invitant à un profond renouvellement de notre théologie. Celle de la Création par exemple. Mais aussi celle la christologie contemporaine. Le paragraphe 100, par exemple, l’air de rien, nous fait faire un grand pas en avant, en assumant clairement des intuitions souvent anciennes : « Les créatures de ce monde ne se présentent plus à nous comme une réalité purement naturelle, parce que le Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux qu’émerveillé il a contemplés de ses yeux humains, sont maintenant remplis de sa présence lumineuse. » Comment dès lors soutenir des attitudes prédatrices et extractivistes de notre économie contemporaine ?

Un conseil pour les étudiants ou les jeunes pros qui ne sauraient pas trop par quel bout commencer leur conversion écologique ?

Si vous êtes chrétiens, n’hésitez pas à vous plonger dans la lecture de cette encyclique. Elle constitue une magnifique porte d’entrée pour penser le sens d’un engagement spirituel et social dans ce monde-là. Et d’ailleurs, si vous n’êtes pas chrétien, vous pouvez le faire aussi parce que c’est la force de ce texte de savoir s’adresser largement au grand nombre, en invitant au dialogue sincère, au dépassement des conflits par le haut, à l’intégration progressive du souci des nombreuses dimensions de notre « vivre ensemble ». Ensuite, creusez votre espérance pour ne pas en faire une idéologie : qu’elle vous tienne dans ces tensions qui nous permettent de suivre et de reconnaître le Christ dans ce monde. Entre prophétie et sagesse. Entre lutte et contemplation. Avec tout ce travail que nous devons faire sur nous même à sa suite : accepter qu’on ne renverse pas les puissants par la puissance. Mais qu’on élève toujours les humbles par l’humilité, et que c’est bien ce processus-là qui change, au final, le cours de l’Histoire. Enfin, soyez pragmatiques : regardez autour de vous ce qui se cherche, s’expérimente, s’essaye. Il y a tant de lieux et d’initiatives nouvelles. Soyez curieux : allez à la rencontre, en diversifiant vos rencontres. Restez à l’écoute des processus qui permettent la conversion des pratiques et des cœurs. Apprenez ces leçons intérieures qui donnent du goût à nos existences. Et soyez des acteurs de communion, de liens, d’espérance, tout en faisant face humblement au tragique des crises que nous traversons. N’est-ce pas tout l’enjeu de la bonne nouvelle de la Résurrection pour ce monde ?