Nicolas Bel est un jardinier des toits et un expert reconnu de l’agriculture urbaine. Inspiré par le biomimétisme des écosystèmes, il se passionne pour les toits maraîchers et lance le projet de toit productif à AgroParisTech en 2012, puis la société Topager en 2013. Ingénieur INSA de Lyon, il conduit pendant trois ans des projets en Haïti. De retour en France, il passe l’agrégation de mécanique et se spécialise dans l’enseignement de l’éco-conception et du biomimétisme. Nicolas se consacre aujourd’hui à la recherche appliquée de solutions durables pour rendre la ville comestible. Aimant partager les idées et son savoir-faire, il anime régulièrement des conférences et des ateliers et est l’auteur d’un livre pour le grand public : Potager urbain.

Avec l’engouement pour l’agriculture urbaine, notamment à travers le programme des Parisculteurs, est-il maintenant plus simple d’établir des partenariats avec des propriétés privées, des collectivités et des entreprises pour disposer de toits à Paris ? La culture sur toits est-elle encore à la marge ou, à l’inverse, les projets se bousculent-ils ?

L’agriculture professionnelle sur toits est encore émergente. De nombreux projets sont en développement, mais le modèle économique reste à préciser. Il y a aussi des enjeux relatifs à la formation des maraîchers et de la mise en place de circuits de distribution, notamment en vente directe.

Nous sommes consultés par de nombreux promoteurs et investisseurs, nous restons cependant prudents en proposant des installations réversibles pour le cas où l’exploitation maraîchère ne serait pas pérenne.

Quelle est la première exploitation maraîchère sur toits de Paris?

La première exploitation maraîchère de Paris a commencé sur le toit de la maison de la Mutualité et alimentait le restaurant Terroir parisien au rez-de-chaussée. Il a fermé depuis.

Comment se positionne Topager par rapport aux chambres stériles d’Agricool ou à d’autres fermes verticales en intérieur réputées à Singapour ? Est-ce un modèle pertinent et surtout est-ce complémentaire aux cultures sur toits que vous développez ?

Nous cultivons avec les principes de la permaculture, en plein air et en accueillant la biodiversité urbaine. Nos jardins rendent également de nombreux services écosystémiques : régulation des eaux d’orage pour éviter les inondations, rafraîchissement pour limiter l’effet de la canicule, etc.

Je crois que les modèles de type Agricool consomment trop de ressources polluantes, comme les terres rares servant à fabriquer les lumières artificielles, l’énergie utilisée pour les faire fonctionner et le transport des conteneurs. Nous pensons qu’il est plus pertinent d’utiliser directement la lumière du soleil et de respecter le rythme des saisons. Je suis d’autant plus heureux de manger des fraises l’été plutôt que l’hiver !

La ville intelligente, dite smart city (cf. « La ville intelligente, laboratoire d’un monde totalivert » par François Jarrige), déploie partout des capteurs pour le bien-être et l’écologie qui sans réflexion critique seraient l’idéal pour relancer de nouvelles filières. Faut-il des algorithmes pour gérer des jardins sur toits ?

Je pense que c’est utile d’avoir quelques capteurs qui mesurent le taux d’humidité du sol pour bien gérer l’irrigation ou la température de la serre, mais pas plus. Les drones agricoles risquent de remplacer un jour les maraîchers, mais nous souhaitons privilégier la création d’emplois motivants en attendant. Cela est surtout visible dans le maraîchage intensif en pleine terre, notamment dans certains pays comme les Pays-Bas ou l’Espagne. De plus, la valorisation des cultures pour répondre à une offre locale ainsi que l’accès à ces toits ne permettent pas si facilement de mettre en place de telles méthodes.

Je ne suis pas fermé à l’utilisation de l’intelligence artificielle quand il s’agit d’aider à la prise de décision sur les cultures ou à la lutte contre les ravageurs. Mais nous n’aimons pas dépendre de ces outils, nous trouvons cela plus intéressant et motivant d’utiliser nos neurones.

En définitive, c’est quoi le but de créer un jardin sur un toit : des réservoirs de biodiversité ? Produire de la nourriture à tout prix pour les citadins ?

En plus des services écosystémiques précédemment cités, les jardins que nous créons utilisent le compost produit en ville et encourageant le compostage local des biodéchets, ce qui évite leur transport par camion-poubelle et leur incinération. Un jardin partagé sur un toit permet de créer du lien social, favorise la santé, l’éducation, etc.

Vous produisez pour qui ? Pour des restaurateurs, des entreprises de transformation ? Ou à des réseaux de distribution comme les AMAP ou La Ruche qui dit oui ?

L’intérêt de la proximité est de consommer les produits frais, pas de faire des confitures. Nous travaillons sur la transformation uniquement en cas de surproduction et nous distribuons par un système de type AMAP ou en vente directe aux restaurateurs. Par ailleurs, notre distribution marche par des paniers hebdomadaires à 10 €, l’abonnement est annuel et la composition varie selon les saisons (plus d’infos sur le site dédié)

Est-ce que Topager propose localement des programmes de réinsertion et d’éducation auprès des écoles ?

Nous participons à des programmes de réinsertion avec l’association Espaces pour le projet CultiCime à Aubervilliers et avec l’association Interfaces (projet du Potager du Bois à Vincennes)

Avec quoi fabriquez-vous vos substrats (matériaux qui servent de support à un végétal) ?

Nos substrats sont réglementés par des avis techniques, nous ne pouvons pas choisir librement nos compositions. Ils sont principalement composés d’une roche volcanique très légère, la pouzzolane, et de compost. Nous améliorons ensuite ces substrats en y ajoutant des vers de terre et des micro-organismes qui font un sol vivant. Le compost vient principalement de déchets verts issus de déchèteries.

Pour la partie arrosage, vous arrosez par goutte-à-goutte. L’arrosage par capillarité (mise en place d’Oyas) est-il pertinent pour ce type de culture ?

Nous récupérons l’eau de pluie sur les projets neufs en développement, mais pas sur les bâtiments existants, car ce serait techniquement trop complexe. Nous utilisons les techniques du goutte-à-goutte et de l’aspersion. Les Oyas sont très bien pour des particuliers mais ne conviennent pas au maraîchage professionnel : cela prend trop de place, c’est trop lourd et trop cher.

Toujours sur le chapitre de l’eau, développez-vous l’aquaponie (qui combine l’élevage de poisson et la culture de légumes en circuit fermé) ? Qu’en pensez- vous ?

Nous ne pratiquons pas l’aquaponie qui est un système très intéressant, cependant son installation et sa gestion sont très techniques et fragiles. Une petite modification de la composition de l’eau peut par exemple rapidement faire mourir les poissons. Nous préférons les systèmes moins technologiques et plus résilients, comme la permaculture.

Enfin, combien de plantes référencez-vous sur vos toits ? Très succinctement, quelles sont les plantes types qui s’adaptent au mieux à ces micro-climats spécifique, notamment parmi les légumes primeurs et les plantes vivaces ?

Chaque toit a son microclimat. S’il est ombragé, nous privilégions des cultures adaptées comme la menthe et la roquette. S’il est ensoleillé et exposé au vent, ce sera le romarin ou le thym. La sélection variétale va également dépendre de l’usage après récoltes.

Nous avons plus de 200 variétés :

–        Légumes primeurs : tomates, haricots, aubergines, poivrons, roquette, radis, navets, betteraves…

–        Strate vivace : thym, romarin, lavande, framboises, cassis, groseille, aspérule odorante…