Geoffroy Saillard, jardiner-permaculteur, a discuté de la distribution des produits agricoles bio avec Charles-Henri Fortier, un ancien banquier qui lit Limite et a ouvert le magasin Biocoop « Les Gardiens de la Terre » à Versailles-Chantier.

– Bonjour Charles-Henri, quel est ton parcours et quelles raisons t’ont poussé à vouloir ouvrir un magasin Biocoop ?

Il y a encore quelques mois, j’étais banquier. Consommateur de produits bio depuis près de 10 ans, j’aspirais à trouver une voie me permettant de concilier mon goût de l’entrepreneuriat et la quête de sens. Mon voisin Arnaud m’a parlé de Limite et m’a prêté le deuxième numéro : je les ai tous dévorés depuis ce jour ! Ces lectures n’ont fait que renforcer ma conviction que le système en place va droit dans le mur… Fin 2016, j’ai vu un reportage sur la face cachée du bio « lowcost ». Il y était notamment question de tomates bio produites en plein hiver, sous serre chauffée, par des travailleurs sans papier dormant dans des huttes… Et le reportage se terminait par l’exemple contraire, celui de Biocoop. Je ne connaissais pas et j’ai tout de suite été séduit par leur démarche très cohérente et engagée. Dix jours plus tard, j’assistais à une réunion d’information à Paris.

Biocoop est un réseau de magasins indépendants mais ne cherche pas seulement des gérants : ils veulent des militants, des personnes engagées dans la démarche. S’en suit un parcours marathon sur 2017 et 2018, jalonné de commissions d’admission, formations, stages, et recherche d’un local. En participant à cette magnifique aventure coopérative plus vieille que moi, mon objectif est d’apporter aux Versaillais des produits de qualité, de saison, et locaux, tout en favorisant le zéro déchet avec près de 150 références en vrac. Le magasin de Versailles prend aussi des engagements forts afin d’être labellisé « Economie Sociale et Solidaire » : écart de salaire de 1 à 5 maximum, mise en réserve du bénéfice à hauteur de 50%, participation des salariés aux décisions stratégiques.

– Au niveau de la charte de Biocoop, quelle est l’exigence prioritaire ?

Biocoop est une coopérative détenue conjointement par les gérants des magasins, les salariés, des associations de consommateurs et les producteurs. Tout le monde prend part aux décisions, chacun a une voix lors des votes. Pour affirmer leurs principes fondateurs, les magasins Biocoop ont établi en 1986 une charte sur laquelle repose l’ensemble de leurs activités. Un cahier des charges composé de 4 conventions – distribution, gestion, sociale et communication – traduit cette charte en engagements pris et appliqués par les magasins. Par exemple, nous ne vendons que des fruits et légumes de saison, il n’y a pas de transport par avion. Les clients sont autorisés à se servir du vrac dans leurs propres contenants. Afin de lutter contre l’emploi précaire, au minimum 75% des salariés sont embauchés en CDI. Le zéro OGM ou l’approvisionnement de produits à moins de 150 km autour de la boutique sont d’autres adages appliqués par Biocoop. Aujourd’hui, Biocoop est le premier réseau de magasins bio en France en rassemblant près de 600 magasins indépendants. Pour découvrir nos engagements, j’invite les lecteurs de Limite à regarder notre film-manifeste.

– On parle de plus en plus de réduire la consommation de viande en y subtilisant des protéines végétales comme le tofu ou le seitan. Mais cette démarche n’est-elle pas contradictoire avec la nécessité d’aider les petits éleveurs ? On pourrait considérer que l’élevage responsable est porteur d’un projet de société non capitaliste, pris en étau comme l’explique Jocelyne Porcher dans le numéro 10 de Limite entre « les libérateurs d’animaux » et « les industriel 4.0 qui ont pour objectif de produire de la matière animale sans les animaux à partir d’une cellule ou d’autres substituts végétaux issus d’une agriculture cellulaire, déracinée et financée par les GAFA et fonds d’investissements les plus puissants. » Est-ce que Biocoop prend en considération cette problématique ?

C’est au cœur de notre stratégie. La bonne direction pour Biocoop correspond au flexitarisme : manger moins de viande mais de qualité, en végétalisant son alimentation, c’est-à-dire en diversifiant davantage ses sources de protéines (légumineuses, fruits et légumes et autres oléagineux). Concernant l’élevage, il n’est pas en reste puisqu’il représente 11 des 20 groupements partenaires de Biocoop. Prenons un exemple concret avec la volaille. Nous relevons ensemble un double défi : proposer un poulet jaune élevé avec des aliments 100% bios et 100% origine France. Les cultures des éleveurs couvrent au minimum 50% des besoins des animaux en céréales, soit bien au-delà des 20% imposés par le règlement européen. En privilégiant les achats en vrac avec des produits bio, équitables et origine France, le flexitarisme s’avère être un mode de consommation économique.

– Biocoop insiste sur le fait de tester le DIY en faisant soi-même ses produits ou d’optimiser les restes : des fruits trop mûrs pour les confitures et compotes, des brioches et des pains rassis pour le pain perdu. Hélas ce n’est pas trop visible dans les magasins. Que faites-vous d’autres pour réduire les déchets ?

Après plusieurs années de débats et d’études de solutions alternatives, Biocoop avait déjà inscrit en 2009 l’arrêt de l’eau en bouteille plastique. C’était alors une préconisation du cahier des charges. Depuis 2017, c’est une obligation. La coopérative est en perpétuelle réflexion sur ces problématiques. Pour preuve, nous avons lancé en janvier 2019 toute une gamme DIY cosmétique avec les laboratoires Gravier ; nous lançons des produits d’hygiènes corporelles en vrac au printemps 2019, qui viendront compléter l’offre existante (lessive, liquide vaisselle, nettoyant multi-usage). Nous travaillons au retour de la consigne, à des yaourts en vrac, etc.

– Peux-tu nous expliquer les différents statuts des magasins bio entre le coopératif, l’associatif ou simplement la franchise ? Quelle est la finalité de ces magasins ?

Les AMAP sont basées sur le modèle associatif. Biocoop repose depuis sa création sur un modèle coopératif unique en Europe car toutes les parties prenantes (du producteur au consommateur) sont sociétaires et représentés dans les instances de décision. C’est ainsi que le Conseil d’Administration de Biocoop est composé de 4 collèges où siègent, au même titre, des représentants des magasins, des représentants de groupements de producteurs, un représentant des salariés et un autre des consommateurs. Ces représentants aux intérêts divergents sont animés par la volonté bienveillante de coopérer, avec comme principal objectif de développer l’agriculture biologique en France.

Les autres enseignes spécialisées bio fonctionnent selon le modèle capitaliste classique et ouvrent des magasins en propre ou en franchise. La Vie Claire a changé plusieurs fois de main et est aujourd’hui détenue par un holding familial. Naturalia appartient au groupe de distribution Casino/Monoprix (coté en bourse). Bio C’Bon est détenu par un fond d’investissement… Enfin La Ruche qui dit Oui rejoint cette « catégorie » puisqu’il s’agit d’une start-up réalisant des levées de fonds. Leur finalité est clairement la rentabilité.

– Il y a du bio à boycotter ? Il y a un vrai marché « bio lowcost » selon toi ?

Le label bio européen assure qu’il n’y a pas de pesticides. C’est déjà très bien. Mais chez Biocoop nous pensons que ce n’est pas suffisant d’où notre cahier des charges afin d’être cohérent avec l’esprit de l’agriculture biologique : respecter les saisons, produire et transformer en local, payer un prix juste aux producteurs, plafonner la marge des magasins pour que les produits soient accessibles à tous, favoriser le vrac afin de réduire les déchets, etc.

Avec la forte montée en puissance de la grande distribution dans la filière bio, il y a en effet un réel risque de produits « bio lowcost » avec un nivellement des normes européennes par le bas. Les citoyens détiennent un réel pouvoir avec leur porte-monnaie, c’est pour cela que Biocoop parle de consom’acteurs et non de consommateurs…

Limite-mag-bio

Remarque de Geoffroy sur les circuits courts :

« Les AMAP (Association pour le Maintien d’une agriculture Paysanne) sont destinées à favoriser l’agriculture paysanne et biologique qui a du mal à subsister face à l’agro-industrie. Le principe est de créer un lien direct entre paysans et consommateurs. Ces derniers s’engagent à acheter la production des producteurs à un prix équitable en payant par avance. Le fonctionnement peut ne pas convenir à tout le monde car l’horaire et le lieu de distribution sont fixés pour toute l’année (1 fois par semaine en général). De plus, selon Sandrine Boucher pour terre vivante, les AMAP (Association pour le Maintien d’une agriculture Paysanne) ont semblé avoir atteint leurs limites dès début 2014, ou une grande majorité des Amapiens sont devenus davantage consommateurs, ce qui déséquilibrera l’offre et la demande.

En effet, le modèle crée par la « Ruche qui dit Oui » donne plus de souplesse qu’une AMAP car la commande se fait chaque semaine, au cas par cas, sans aucun engagement ni de durée ni de montant. Un vif débat a alors eu lieu sur le web avec les AMAP courant 2015.

Il existe aussi des associations de consommateurs qui commandent en gros (lien : « Alterne » et « Pomme de pain »), faisant ainsi surgir une nouvelle clientèle pour le bio : plutôt urbain, qui ne vas pas spécialement dans les hypermarchés ni dans des magasins bio. Par ailleurs, d’autres modèles surgissent avec par exemple les potagers sur toit à la demande, où il est proposé de planter des potagers collectifs entretenus par un maraicher dit Community Farmer qui se charge de semer, de repiquer et d’entretenir, en effet in fine, les adhérents n’ont plus qu’à venir récolter et s’engage pour 8,90 € par semaine.

La limite des différents modèles cités réside dans le fait que l’on ne trouve que quelques références et cela ne permet donc pas d’y faire toutes ses courses.

Pour répondre à cela, des supermarchés coopératifs ont été créés : le magasin est strictement réservé aux membres, qui assurent bénévolement les tâches nécessaires au bon fonctionnement du supermarché et emploient collectivement quelques salariés pour coordonner l’ensemble. Concrètement, après avoir acheté une part de la coopérative (100€ en moyenne), chaque membre vient 3 heures consécutives, toutes les 4 semaines, pour tenir la caisse, réceptionner les livraisons, nettoyer, etc. L’exemple le plus connu est la Louve, fondée par Tom Boothe. Le magasin ouvert en 2016 à Paris compte aujourd’hui 6000 coopérateurs. D’autres supermarchés coopératifs lui ont emboité le pas en France comme le « SuperQuinquin » à Lille et « Ma p’tite échoppe » à Antony qui innove en proposant de payer selon ses revenus. Tous ces magasins ont pour ambition de privilégier les petits producteurs locaux, mais pas forcément bio ; l’engagement en temps des coopérateurs mais aussi les contributions à la coopérative permettent d’être généralement bien moins cher que des magasins d’alimentation classique. »