Dans La Mer nourricière, un défi millénaire, chercheurs et membres de la « filière » halieutique alertent sur la surexploitation des ressources maritimes. Bilan : nous pouvons continuer à manger du poisson à condition de changer une partie de nos habitudes.

L’avenir alimentaire du monde n’est pas une table rase. À ceux qui appuient sur l’accélérateur du catastrophisme pour mieux justifier le véganisme le plus orthodoxe, La Mer nourricière, un défi millénaire, paru aux éditions du CNRS, offre un radical démenti. Écrit sous la direction des géographes Jean- Robert Pitte, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, et d’Alain Miossec, spécialiste des littoraux, l’ouvrage est la retranscription des actes d’un colloque qui eut lieu au château de Ferrières les 27 et 28 janvier 2018. Y étaient réunis deux univers souvent étrangers l’un à l’autre : celui des professionnels de la « filière » halieutique et celui du monde universitaire et de la recherche. Le titre du livre est le même que celui donné par Jean Chaussade à l’un de ses textes paru en 1994, lequel estimait que la mer nourricière était l’« enjeu du XXIe siècle ».

« L’impasse du toujours plus »

Des actes de ce colloque ressort un noir bilan. Depuis les débuts de l’époque moderne, la pêche est devenue surpêche et celle-ci a gagné presque l’intégralité des océans. Ses prises ont considérablement augmenté depuis 1950, malgré deux ralentissements intervenus vers 1970 et vers 1990, principalement liés à la hausse des prix du pétrole, explique André Louchet. Aujourd’hui, un terrien consommerait en moyenne 20 kg de poissons par an et 90 millions de tonnes seraient pêchées chaque année dans le monde.

La demande mondiale de poissons met la logique du « toujours plus » en branle. Toujours plus de quantités à des prix de plus en plus bas, des poissons capturés toujours plus profonds, jusqu’à plusieurs kilomètres, et dans toujours plus de milieux. La conséquence est connue de tous : une surexploitation des ressources maritimes qui génère à la fois une dégradation des écosystèmes marins et une destruction de la diversité des espèces marines, même s’il y a aussi d’autres facteurs explicatifs comme le réchauffement climatique et les pollutions. 31 % des « stocks » mondiaux de poissons sauvages seraient aujourd’hui surexploités. Plus de cent espèces de poissons, comme les raies ou les esturgeons, figurent dans la liste rouge. Le risque de leur disparition a rendu nécessaire, à plusieurs reprises, l’interdiction de certaines pêches, comme celle du cabillaud en 1992.

La globalisation des « produits » de la mer est maintenant telle que 85 % de ceux qui sont mis en vente dans notre pays sont importés. La France possède pourtant le deuxième domaine maritime mondial après les États- Unis. Elle n’est pas une exception parmi les pays dits développés. Le schéma est le suivant : les océans des pays « du Sud » sont vidés pour aller peupler les rayons des supermarchés et des poissonneries des pays « du Nord ». Entre 2001 et 2005, les États-Unis, l’Union européenne et le Japon consommaient ainsi 35 % de ce qui avait été pêché dans le monde.

Illustration : Marie Anne Bezon pour Limite

[La suite de cet article est à lire dans le 16ème numéro]


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