Depuis 1974, Roberto Fraga a créé plusieurs centaines de jeux de société. Désormais installé dans son atelier de Saint-Malo, cet inventeur nous emmène dans l’univers du jeu de société et nous raconte comment il s’est inspiré de ses nombreux métiers pour mettre au point ses œuvres.

Limite : D’où est née votre passion pour les jeux de société ?

Roberto Fraga : Mes parents ont émigré d’Espagne en 1961. Mon père était ouvrier et ma mère femme de ménage, et nous n’avions pas beaucoup d’argent pour acheter des jeux. De plus, dans les années 1960-70, il n’y avait pas la profusion de jeux de société que nous connaissons aujourd’hui : nous jouions surtout à des jeux traditionnels, comme des jeux de carte espa- gnols.

J’étais un enfant réservé, timide et imaginatif qui dessinait beaucoup. Je me réfugiais derrière des univers imaginaires, et mon intérêt pour le jeu est venu comme cela. Étant timide, je me disais que créer des jeux et les faire tester à mes amis me mettrait en valeur. J’ai donc créé mon premier jeu à l’âge de quatorze ans, un Monopoly Spatial dans lequel le but était d’acheter ou de conquérir des planètes. Grâce aux jeux, je suis passé d’un extrême à l’autre et je suis devenu hyper sociable !

Cela fait désormais quarante-six ans que je crée des jeux, et je n’en ai fait mon activité principale qu’à partir de 2010. Il y a différents parcours parmi les créateurs de jeux. Certains ont créé un jeu qui les a immédiatement propulsés vers une renommée internationale, tandis que d’autres, comme moi, ont construit leur parcours progressivement. Je suis aujourd’hui comblé de pouvoir en vivre, car nous ne sommes qu’une quinzaine d’auteurs de jeux à avoir ce privilège en France.

Où trouvez-vous l’inspiration pour créer vos jeux de société ?

Roberto Fraga: Lorsque l’on commence à créer des jeux, on a tendance à s’appuyer sur les jeux existants et à s’inspirer de ses passions. En tant que grand amateur de science-fiction et fasciné par le premier empire, j’ai tout naturellement commencé par créer des jeux de guerres spa- tiales ou napoléoniennes.

Ensuite, je me suis énormément inspiré des nombreux métiers que j’ai exercé. En effet, j’ai été successivement chauffeur-livreur, timonier sur un porte-avion, cheminot, dessinateur en architecture, représentant de commerce, plongeur sous-marin, matelot sur un paquebot de croisière, officier de marine marchande, garde-pêche et commandant d’une vedette des douanes. Ces expériences m’ont donné des idées et fait voir des images singulières.

Par exemple, l’idée de mon jeu Doctor Panic – un jeu coopératif sur le bloc opératoire – m’est venue après un accident lorsque j’étais douanier maritime. Je m’étais cassé le tibia en sautant sur un bateau de contrebandiers rempli de cocaïne et me suis retrouvé à l’hôpital. Juste avant l’opération, j’ai demandé à l’anesthésiste un bloc de papier afin de noter l’idée de ce jeu. Puis je l’ai élaboré lors de ma convalescence.

Les paysages donnent aussi des idées graphiques. Certains de mes amis pensaient que j’allais pouvoir créer beaucoup de jeux durant le confinement du printemps dernier, mais c’est l’inverse qui s’est produit : pour créer, il faut vivre.

« Les paysages donnent aussi des idées graphiques. Certains de mes amis pensaient que j’allais pouvoir créer beaucoup de jeux durant le confinement du printemps dernier, mais c’est l’inverse qui s’est produit : pour créer, il faut vivre.»

Roberto Fraga

Comment devient-on un bon créateur de jeux ? Quel apprentissage faut-il faire ?

Roberto Fraga : Il n’y a pas de formations pour devenir créateur de jeu. Les gens travaillant dans l’édition de jeux de société viennent de milieux très variés. Personnellement, j’ai un brevet de technicien spécialisé dans les coffrages béton armé, car mon père voulait que je fasse carrière dans le bâtiment, comme lui. Mais il n’y a pas de règle pour créer des jeux de société. Il faut tâtonner, et aussi être méthodique et ordonné. Les gens pensent que les créateurs de jeux sont des savants fous, enfermés dans leur atelier bordélique. Chez moi, c’est tout le contraire. Pour travailler sur plusieurs projets en même temps, il faut être très organisé et minutieux.

Il faut aussi savoir être à l’écoute : dans mon cas, ma femme et mes enfants ont influencé ma manière de créer. Ils m’ont aidé à créer des jeux plus accessibles, plus simples et tout aussi amusants. Enfin, il faut persévérer et garder à l’esprit que ce n’est pas une science exacte, on ne sait pas à l’avance quel jeu va avoir du succès. Pour ma part, j’ai publié 130 jeux, alors que j’en ai créé entre 700 et 800. […]

Illustration d’Alexandre Forget pour Limite.

La suite de cet entretien fleuve est à retrouver dans le dossier central du 21ème numéro de Limite, la première revue d’écologie intégrale. L’essayer, c’est l’adopter !

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