Il y a dix ans, les ex-salariés de l’entreprise de thé et tisane Fralib sont devenus propriétaires de leur usine, après une longue lutte contre le géant de l’agroalimentaire Unilever. Depuis, ils ont monté leur société coopérative, SCOP-Ti. La rédaction de Limite est allée à la rencontre de ses ouvriers autonomes, sans actionnaires ni patrons, mais unis dans leurs prises décision et désireux de relancer la filière des plantes aromatiques en Provence. Extrait.

PAR ANTONIN GOUZE – PHOTOS DE MAÏTÉ BALDI

Casquette vissée sur la tête, blouse de travail verte cintrée, Gérard Cazorla traverse l’entrepôt en pressant le pas : il nous emmène voir un trésor. Coincée entre deux rayons sur lesquels sont stockés des sacs de plantes, dressée sur une palette, une structure haute de deux mètres est cachée sous une bâche. Nous retirons la couverture en plastique et apparaît un énorme éléphant en plâtre blanc.

« On le laisse ici en souvenir de la lutte, mais on ne le sort plus pour ne pas faire de pub à Unilever. Une dame nous l’avait donné quand on manifestait contre la fermeture de l’usine, on l’avait baladé dans Marseille, jusqu’à Notre-Dame de la Garde ! », nous raconte l’ex-salarié de Fralib, récemment retraité. Ce pachyderme géant fait partie des nombreuses marques, encore visibles un peu partout dans l’usine, des trois ans et demi de con it qui a opposé les ex-ouvriers de Fralib au géant de l’agroalimentaire Unilever, entre 2010 et 2014.

« On est fier d’être de mauvais capitalistes. On avait promis qu’on intégrerait tous les salariés ayant lutté. On a tenu parole »

« L’Éléphant est Français, en Provence il doit rester », scandaient-ils en novembre 2011, alors qu’ils étaient montés à Paris pour manifester. Un an plus tôt, Unilever avait en effet annoncé sa volonté de délocaliser l’usine de Gémenos, située à 20 km de Marseille, en Pologne et en Belgique. Une décision inacceptable pour les salariés de l’époque, résolus à ne pas perdre leur travail et à conserver la célèbre marque de thé Éléphant, créée en Provence à la fin du XIXe siècle, puis rachetée par le groupe néerlando- britannique en 1975.

Aujourd’hui, onze ans après la lutte, la marque Éléphant n’a pas pu être récupérée, mais l’usine n’a pas fermé et les ex-Fralib en sont devenus les copropriétaires. Ils ont même créé leur propre marque : « 1336 », comme le nombre de jours de lutte qu’il a fallu pour arracher leur usine aux griffes de leur ancien propriétaire.

Le salut grâce à la SCOP

« En tant que syndicaliste, j’aspire à changer radicalement notre modèle de société. Mais pour être tout à fait honnête, avant qu’Unilever annonce la délocalisation de l’usine, l’autogestion n’était pas une de nos revendications. Mais on a rapidement vu qu’il fallait travailler à une solution alternative, car on sentait bien qu’ils étaient déterminés à fermer le site », se souvient Olivier Leberquier, figure de la lutte des ex-Fralib, et désormais président du Conseil d’Administration de SCOP-Ti, la société coopérative créée il y a dix ans, le 14 novembre 2012, pour continuer à faire tourner l’usine.

Il nous fait visiter son bureau — dans lequel trône une photo d’Ambroise Croizat, fondateur de la sécurité sociale — puis nous installe dans la salle de réunion « Fidel Castro » pour nous expliquer le fonctionnement de la SCOP. Les choses ont bien changé depuis l’époque d’Unilever, à commencer par la politique salariale. « Avant, un opérateur chez Fralib gagnait 1 530 € par mois, contre 320 000 € pour Paul Polman, le PDG d’Unilever. Soit un écart de 1 à 220 », détaille Olivier Leberquier. Depuis la reprise de l’entreprise par ses salariés, le salaire minimum a été augmenté à 1 600 €, un salaire intermédiaire a été fixé à 1 670 € et le salaire maximum est de 2 000 €. Soit un écart de 1,2 entre le salaire le plus haut et le salaire le plus bas. 

En mars 2022, un nouveau directeur commercial est arrivé chez SCOP-Ti, et devra donc…

La suite de l’entretien est disponible dans la revue Limite n°26 « Débranchez le progrès » à retrouver en kiosque. 98p. 12€