Du 21 au 28 mai 1871, les « Versaillais » écrasent dans un bain de sang historique les révolutionnaires de la Commune, à Paris, où les quartiers de Montmartre, de Belleville et de l’est parisien deviennent des champs de bataille à ciel ouvert. Si les communards sont anticléricaux dans leur grande majorité, leurs adversaires républicains ont aussi ligué contre eux des catholiques de tous bords. Peu étonnant, on trouve parmi eux les plus rétifs à l’ordre bourgeois. Florilège du coté des écrivains.

Ils sont écrivains, catholiques de surcroit. Rien ne laisse présager leur adhésion à la cause communarde. D’un côté, les communards viscéralement anticléricaux et de l’autre, les Versaillais conservateurs et catholiques, telle est l’opposition un peu simpliste retenue par la postérité. Car, pendant les soixante-douze jours de la Commune, les Fédérés proclament la séparation de l’Eglise et de l’Etat, assassinent des religieux, fusillent Monseigneur d’Arboy, l’archevêque de Paris, perquisitionnent et profanent des églises. Et, comme le montre l’ouvrage de Paul Lidsky Les écrivains contre la Commune, très peu d’hommes de lettres soutiennent les insurgés. Le milieu littéraire est au contraire horrifié par les bains de sang et la « démence » populaire. Feydeau, Flaubert, Zola ou encore Georges Sand condamnent ouvertement les agissements des communards. Rares sont ceux, parmi les écrivains, qui s’engagent réellement. Ce serait pourtant oublier Péguy, Villiers de l’Isle Adam, Bloy, et Bernanos.

Une première exception : Villiers de l’Isle Adam, un aristocrate rebelle qui participe activement à l’insurrection et dresse une grande fresque des évènements sous le titre de Tableau de Paris sous la Commune. Fervent catholique, il partage tout de même l’exaltation des communards et admire leur détermination héroïque bien qu’il retourne sa veste rapidement pour sauver sa vie.

D’autres contemporains ouvrent la voie d’une autre vision de la Commune, ce sont Barbey D’Aurevilly et, à sa suite, Léon Bloy. Cette filiation intellectuelle leur fait voir dans les Parisiens insurgés une saine réaction contre une modernité qui asservit les faibles à la domination de l’argent et du capital. Bloy ne monte pas sur les barricades, mais c’est bien « un communard avant la Commune ». Et pour cause, quand il arrive dans la capitale sans un sou en poche, il partage les vicissitudes de ses habitants, il fréquente les milieux du socialisme révolutionnaire où il se fait une idée très arrêtée et très critique de la bourgeoisie d’Empire. Les soulèvements de la Commune font écho à sa révolte personnelle contre le Second Empire et tout ce qu’il représente de bourgeois, de confortable et bien-pensant.

Des Cahiers de la quinzaine en rouge

Mais les plus vifs défenseurs de la Commune écrivent a postériori. De Péguy et Bernanos, aucun n’est vraiment contemporain de l’évènement. Tous deux condamneront pourtant la répression menée par Thiers contre les Fédérés pendant la Semaine Sanglante. Péguy œuvre personnellement à la postérité de la Commune et à la pérennité de sa mémoire. Il fait publier dans ses Cahiers de la Quinzaine, au grand désespoir de ses abonnés, Les Cahiers rouges de Maxime Vuillaume, anticlérical et radical, dans lesquels il partageait ses états d’âmes et son quotidien sur les barricades. Il veut perpétuer la mémoire de cette insurrection qui est à ces yeux le dernier soubresaut d’un peuple en déshérence. Il pose aussi avec Bloy un regard compatissant sur ses martyrs trop longtemps maltraités par les puissances de l’argent et l’ordre moral petit bourgeois.

Bernanos, quant à lui, lance dans La Grande Peur des bien-pensants un vif réquisitoire contre la « vile répression » du « petit homme Thiers », symbole d’une époque dominée par « l’accès de panique du monde conservateur, la férocité stupide de ces libéraux, de ces orléanistes, de ces modérés de tout poil, devenus des moutons enragés ». Face à elle s’est enfin soulevé le peuple animé par ce qu’il appelle le « socialisme autochtone », une sorte de sentiment populaire inspiré par Dieu.

Dans le même temps, et c’est leur singularité, Péguy autant que Bernanos condamnent l’Internationale dont le dogmatisme écrase l’être humain et le dépossède de sa lutte. Au diable les révolutionnaires de salon, dont l’idéalisme porte en germe les dérives totalitaires, éloignés d’un peuple en souffrance, qui enfin se soulève.

Admiration, compassion et révolte, sont les couleurs de cette Commune des écrivains catholiques, qui revisitent avec nuance la complexité de la cause des Fédérés et proposent une mémoire différente de la lecture marxiste. Refus du clivage traditionnel droite-gauche, lecture critique de l’argent devenu tout puissant, la Commune au prisme de ces écrivains ne s’embarrasse d’aucune limite …