La techno peut-elle sauver le climat ? C’est la question que l’on s’est posée en voyant apparaitre sur les réseaux sociaux la « Rave 4 Climate ». Derrière ce slogan, se cache une initiative des principaux lieux festifs et alternatifs parisiens tendant à organiser une fête en plein air en marge de la « Marche pour le climat » du 16 mars dernier. Les magazine on ne peut plus « hype » Vice et Antidote en faisaient des compte-rendus enthousiastes.

 

Le climat est un combat politique

L’évènement entendait « créer une onde de choc puissante et taper sur les tympans de nos dirigeants ». Plus loin, les organisateurs appelaient à s’opposer à « toute tentative de récupération de cette mobilisation à des fins individualistes, commerciales, nationalistes, réactionnaires et violentes ». Cette liste aurait pu être inépuisable tant elle englobe des considérations diverses voire contradictoires. Surtout, elle revient à dire : « on n’est pas là pour faire de la politique ». Pas de polémique, que du consensus, quitte à ne proposer aucune message cohérent, si ce n’est celui de danser. Tout le monde est le bienvenu mais surtout, laissez vos opinions à la maison.  C’est dommage parce que jusque-là, le combat pour le climat ressemble bien à un combat politique : des intérêts divergents, un rapport de force et une solution qui ne peut être que collective.

Pour les organisateurs, « la fête est un vecteur de rassemblement extrêmement puissant, qui transcende les sensibilités politiques et les frontières. Elle crée un espace de liberté qui porte en elle un potentiel de disruption ». Elle les transcende mais elle les étouffe également. Et à vouloir viser le plus large possible, on ne sait plus très bien à quoi on s’oppose et on ne disrupte plus grand-chose. Finalement, cette dépolitisation du climat devient habituelle. Sur le mode du do it yourself, l’action et la responsabilité individuelles sont censées être le moteur du changement.

La techno est hypermoderne

C’est justement là le problème. La musique techno et sa consommation peuvent-elles être mises au service de l’écologie ? Autant vous le dire tout de suite, ça nous semble compliqué. Sans vouloir faire du Bossuet de comptoir (« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes »), cette manifestation parait au contraire paradoxale tant elle est la négation même de la sobriété qui est appelée à gouverner nos vies. Les valeurs charriées par la techno et la rave ressemblent à s’y méprendre à l’hypermodernité : narcissisme, dépolitisation, dépression.

Il y a quelques années, dans le magazine 20 ans[1], Michel Houellebecq donnait sa vision de la fête : « Le primitif a un sens de la fête très développé. Une bonne flambée de plantes hallucinogènes, trois tambourins et le tour est joué : un rien l’amuse. A l’opposé, l’Occidental moyen n’aboutit à une extase insuffisante qu’à l’issue de raves interminables dont il ressort sourd et drogué : il n’a pas du tout le sens de la fête. Profondément conscient de lui-même, radicalement étranger aux autres, terrorisé à l’idée de la mort, il est bien incapable d’accéder à une quelconque exaltation »[2].

L’homme moderne voit dans la rave un moyen de s’épuiser, de chercher ses limites, de les dépasser. Il vit dans le culte de l’éphémère et de l’instantanéité ; il célèbre le moment présent comme si c’était le dernier. S’il est entouré, son expérience relève de la solitude. La rave est finalement l’acte matérialiste terminal, une pulsion hédoniste et morbide avant la fin. Elle est pure consommation et négation de l’avenir.

Dans son texte Eurodance, Aurélien Bellanger narre la chute de l’Union européenne sous la forme d’une fête où de jeunes européens s’étourdissent sans qu’on ne sache plus très bien s’il s’agit d’étudiants Erasmus ou de néo-nazillons. Si le texte s’appelle Eurodance (musique électronique des années 1990), c’est bien que la fin de l’histoire (et d’un monde) prend la forme d’une grosse teuf, au rythme du « dernier mouvement artistique paneuropéen ».  « C’est la musique la plus triste du monde, du bruit d’un univers qui vacille dans le néant. Le triomphe évidé des nocturnes et des leçons de ténèbres. Le continent de Bach accède avec elle à un état de transe […] La nuit logistique est une nuit vaincue »[3].

 

Notre droit collectif à avoir un destin

Difficile de voir dans la techno un hymne pour la dynamique collective que nous devons construire tant elle ressemble farouchement à son époque, en épouse toutes les dynamiques et les contradictions. Aux frontières de la société de consommation et de la société du spectacle, l’hédonisme porté en valeur cardinale est une réponse bien légère face au défi climatique, si ce n’est sa négation. L’écrivain tchèque Milan Kundera définit l’hédonisme comme la quintessence de l’absence de destin : « l’hédoniste se défend contre la transformation de sa vie en destin »[4]. Or, quand nous descendons dans la rue pour porter le combat de l’écologie, c’est justement pour réaffirmer notre droit collectif à en avoir un.

Notes

[1] Michel Houellebecq semble fasciné par ce magazine dont il décrit le lectorat dans La possibilité d’une île comme étant « une humanité factice, frivole, qui ne sera plus jamais accessible au sérieux ni à l’humour, qui vivra jusqu’à sa mort dans une quête de plus en plus désespérée du fun et du sexe ; une génération de kids définitifs. » Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, 2005, Fayard

[2] Relevé dans Aurélien Bellanger, Houellebecq, écrivain romantique, Léo Scheer, 2015

[3] Aurélien Bellanger, Eurodance, Gallimard, 2018

[4] Milan Kundera, L’art du roman, Gallimard, 1986