Islamologue et frère dominicain, Adrien Candiard publie un essai, Du fanatisme, quand la religion est malade (Editions du Cerf), dans lequel il affirme que la théologie est indispensable pour comprendre les ressorts du fanatisme. Car le fanatisme est d’abord « une théologie du refus de la théologie, cette théologie qui pense l’inutilité de la théologie. Cette théologie dont Dieu est absent, sauf sous la forme de commandements ».

Les caricatures sont aujourd’hui projetées sur les façades des mairies et demain distribuées à l’école à tous les élèves. Elles tendent à devenir un étendard de la laïcité et ceux qui rechignent à les publier sont considérés par certains comme des ennemis de la patrie. Demain, peut-être, un délit viendra sanctionner ceux qui critiquent la publication de caricatures. Publier des caricatures sur les façades de nos édifices ne fera pas disparaitre la religion. Cette tentation témoigne de la difficulté qu’à la République française depuis toujours à prendre en compte le fait religieux.

Là est l’apport fondamental de l’ouvrage d’Adrien Candiard : pour comprendre les ressorts du fanatisme, la théologie n’est pas moins importante que la sociologie ou la psychologie.

Le fanatique remplace Dieu par des idoles

Depuis les Lumières, le fanatisme est considéré comme un excès de religion. Or pour Adrien Candiard, le fanatisme est d’abord une absence de Dieu. Il nie la foi et remplace Dieu par des idoles : des commandements, des interdictions, une liturgie. Le fanatisme est ainsi une idolâtrie, une déviance théologique, la confusion entre Dieu et les objets qui s’y rattachent.

Le fanatique ne pense la religion que comme une série de pratiques. Il s’interdit de penser sa foi comme une relation à Dieu. De Dieu il ne connait que les commandements, dont le respect scrupuleux est un indépassable horizon. Au contraire nous rappelle Adrien Candiard, Saint Paul posait une distinction fondatrice entre la foi et les œuvres : la relation personnelle à Dieu prime sur les commandements.

Utilisées comme un instrument de domination, ces vérités cessent de servir Dieu. C’est le même moteur qui animait hier le fanatisme séculier. La race ou la classe furent des idoles totalisantes prêtes à remplacer Dieu. « Profane ou religieux, le fanatisme a la même origine : l’absence de Dieu, qu’on a voulu remplacer par autre chose ».

Replacer la théologie au cœur de la raison

Exclure la religion du cercle de la raison porte le risque d’être impuissant face à des théologies qui sont dans leur essence indiscutables. « Notre ignorance collective du b-a-ba de la théologie nous laisse désarmés face aux discours religieux simplistes ou séducteurs. » Toutes les écoles de l’Islam n’absolutisent pas de la même façon les commandements de Dieu. Surtout, certaines laissent une place à la raison et à la relation à Dieu.

L’apport de la théologie est d’offrir un regard critique et un débat sur la foi. Réintroduire la religion dans l’espace public, c’est aussi lui permettre d’être discutée, remise en cause.

Quand la foi devient un trait identitaire indiscutable, elle laisse le champ libre à l’idolâtrie qui est « un enfermement à l’égard du réel ». C’est quand la foi entre « dans le concret de ma vie que la Bible commence à devenir authentiquement la Parole de Dieu » nous dit Adrien Candiard.

La vie spirituelle face au fanatisme

Une vie spirituelle riche permet d’utiliser les médiations qui mènent à Dieu sans jamais les essentialiser. Face au fanatisme et ses idoles, la prière est d’abord l’acceptation du silence duquel nait la relation personnelle à Dieu.

La « déradicalisation » est inefficace dès lors qu’elle a pour objet de nier toute vie spirituelle. À rebours du discours des Lumières, on n’étouffera pas l’expression religieuse en l’interdisant.

Alors pour combattre le fanatisme, mieux vaut-il peut-être faire une place à la pensée religieuse dans l’espace public. La théologie n’est pas simplement un catéchisme abstrait, elle est « un effort rationnel pour rendre compte de la foi, une réflexion critique de ce que notre langage humain peut dire sur Dieu ».