Professeur de droit, Emmanuel Dockès est l’auteur de Voyage en misarchie (Éditions du Détour, 2017), un essai utopique où se dessine une société dans laquelle tout est pensé pour limiter l’excès de pouvoir. Si la misarchie, « la haine du pouvoir », supprime l’État et le capitalisme, elle préserve la petite propriété comme un pilier de la démocratie et la condition de la réalisation d’une société de liberté et d’égalité. 

Alexis de Tocqueville fait de la propriété privée un fondement de La démocratie en Amérique. Quels liens y-a-t-il d’après vous entre démocratie et propriété ?  

La propriété peut très bien se conjuguer avec les idéaux démocratiques, comme être anti-démocratique. Il faut distinguer la propriété comme moyen d’autonomie des personnes et la propriété comme moyen de domination. 

Quand elle est un moyen d’autonomie, la propriété est une défense de la liberté, et quand elle est suffisamment partagée, elle sert également l’égalité. En revanche, quand l’usage du bien est déconnecté de sa propriété, elle exerce une forme de domination sur la personne qui en use sans être propriétaire. Cette « propriété-domination » des personnes relève d’une logique féodale ou capitaliste plus que démocratique. 


Pourquoi défendez-vous la petite propriété privée plutôt que la propriété collective ? Les révolutionnaires américains comme français ont rapidement consacré et protégé la propriété privée. Ce qui a fait dire à Marx que les droits de l’homme étaient d’abord des droits bourgeois… 

Sous l’Ancien régime, les droits féodaux permettaient la juxtaposition de plusieurs propriétés. La propriété éminente du seigneur se superposait à la propriété d’usage de l’agriculteur. Cette propriété éminente a été abolie et qualifiée de privilège à la Révolution française. On crée alors une propriété exclusive, qui s’oppose aux droits féodaux. Cette propriété exclusive est au départ pensée comme un moyen de défendre l’autonomie. Délié du joug seigneurial, l’agriculteur est propriétaire de la terre qu’il cultive. 

La propriété exclusive n’a cependant pas empêché l’accaparement des moyens de production, notamment dans l’industrie. L’usage a de nouveau été déconnecté de la propriété. Aujourd’hui, l’essentiel du patrimoine est un moyen de domination.Certaines tendances de gauche considèrent la propriété comme un mal en soi, ce qui revient à mettre tous les biens en commun. Mais le collectif peut rapidement devenir une menace pour la liberté et l’autonomie. Les collectifs supposent une structure, des règles, et donc du pouvoir. Si le collectif est souhaitable et nécessaire, il faut réduire le pouvoir autant que faire se peut pour préserver l’autonomie. Quand une propriété est collective, elle construit nécessairement du pouvoir, et plus elle grossit, plus elle en concentre.

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Cet entretien est à lire dans le dernier numéro de la revue Limite. Vous pouvez le trouver à la commande en ligne et en librairie à leur réouverture !

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