Plancher sur un programme concret de décroissance. C’est la mission du think-thank Shift Project que dirige Jean-Marc Jancovici. Début 2022, il sortait un livre intitulé “Plan de Transformation de l’Économie Française” détaillant une centaine de propositions. Dans le dernier numéro de la revue Limite, cet ingénieur polytechnicien livre sa vision détaillée d’une société dissociée du Progrès infini à travers son travail d’activiste. Extrait.

PROPOS RECUEILLIS PAR EUGÉNIE LE QUÉRÉ / ILLUSTRATIONS DE CAMILLE PATUREAU  

Vous parlez de la décroissance au présent, pas au futur…

Tout à fait, pour moi la décroissance a déjà commencé. Je parle des flux physiques qui structurent notre économie, la quantité de ce qu’on produit, de ressources qu’on extrait, d’énergie qu’on utilise. L’Europe subit une contraction énergétique depuis 2006, c’est- à-dire que la somme des approvisionnements énergétiques, ce qu’on produit et ce qu’on importe, est en baisse. Les ventes de voitures en 2021 ont été inférieures à celles de 2020, qui étaient déjà inférieures de 25 % à celles de 2019. La raison, c’est un défaut de ressources pour produire : les composants électroniques, mais aussi l’acier. La production industrielle européenne, avant le Covid, avait péniblement retrouvé son niveau de 2007. La construction, elle, n’a jamais retrouvé son niveau de 2007. Le PIB de l’Allemagne a encore baissé au quatrième trimestre 2021, pour la même raison : pas assez de matières premières pour faire tourner leur économie. C’est un problème de moyens de production.

« La décroissance comme choix politique, c’est inaudible. Les élus se font élire en promettant toujours plus de tout
à tout le monde. »

Jean-Marc Jancovici

Et pour vous cette situation de pénurie va se généraliser au monde entier ?

En effet, il faut se situer au niveau mondial. Dans le monde globalement, il y a encore de plus en plus d’énergie, donc de la croissance. A un niveau local il peut y avoir de la croissance par dématérialisation, si on étend le secteur financier ou qu’on fait du déficit commercial, mais globalement, non. En ce moment on vit sur des transferts de revenus des zones où il y a encore de l’énergie vers la France. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les classes supérieures voient encore leurs revenus augmenter. La plupart des grandes entreprises françaises réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires à l’étranger, les salaires des cadres français sont financés par l’activité à l’étranger. Pour les gens qui sont membres de l’économie mondialisée, les revenus peuvent encore augmenter. Mais pour la majorité des Français, le pouvoir d’achat stagne ou baisse depuis 2007. Nos dirigeants ne s’en rendent pas compte, parce qu’ils fréquentent surtout les 10 % les plus riches. Dès qu’une licorne fait des records de valorisation, on voit Bruno Le Maire et Emmanuel Macron s’esbaudir sur LinkedIn. Mais pour la majorité des Français, ce n’est pas ça qui va changer leur vie.

Mais on nous dit partout que

La suite de l’entretien est disponible dans la revue Limite n°26 « Débranchez le progrès » à retrouver en kiosque. 98p. 12€