La publicité peut-elle servir de justes causes? « Pourquoi ne pas vendre la fraternité comme on vend du savon? » demandait dès les années 50 un professeur de psychologie, précurseur de ce qui deviendra le marketing social, application des concepts et des méthodes du marketing commercial aux causes d’intérêt général. Les publicitaires n’ont jamais été aussi efficaces pour influencer les comportements: il ne tiendrait peut-être qu’à eux de faire adopter aux masses des gestes plus favorables à l’environnement. La démarche est déjà largement utilisée, depuis des décennies, pour obtenir la propreté des espaces urbains ou naturels, et nous inculquer le bon usage de nos poubelles. Mais n’applaudissons pas trop vite.

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La publicité peut nous entraîner à ne pas jeter nos déchets à terre, et c’est un bon résultat. Mais ce faisant, elle nous entraîne aussi et d’abord à adopter le paradigme de l’individu-pollueur, ou de l’individu-recycleur, une pseudo-écologie nombriliste et moralisante reposant tout entière sur les choix des particuliers, et rendant invisible les vices d’un système. Vous transportez consciencieusement votre bouteille de Coca-Cola jusqu’à la prochaine poubelle? Coca-Cola s’en frotte les mains: vous êtes un collaborateur gratuit, vous contribuez à perpétuer le modèle qui permet à Coca- Cola de vendre un nombre infini de bouteilles jetables. Vous voilà enrôlé dans la gestion des déchets, sœur jumelle de la production des déchets. La gestion des déchets est toujours une entreprise de communication : elle consiste à produire des récits tranquillisants pour débarrasser les consciences. Les déchets bien gérés disparaissent, certes, mais il est tacitement suffisant, et beaucoup plus facile, de les faire disparaître de notre souvenir plutôt que du monde physique. Ils sont éloignés dans de discrètes décharges, vaporisés dans des incinérateurs peints de frais, ou expédiés (pardon, « recyclés») en Asie ; tout cela est enrobé de slogans réconfortants, mascottes souriantes et logos verts circulaires. Dans cette opération, l’ordure des bords de route est un témoin à charge, une pièce à conviction à éliminer absolument.

« S’acheter une bonne conscience en sponsorisant une association ou une journée du nettoyage, ça ne peut plus suffire »

Mais nous sommes en libéralisme : ce qu’une publicité dit, une autre peut le contredire. Gerry Farrel est Écossais, publicitaire de métier, et responsable d’une association pour la pro- preté de son quartier, à Édimbourg. Il a conçu des affiches parodiant la communication des grandes marques dont les logos sont le plus souvent retrouvés dans les ordures. Les visuels sont construits pour mettre en cause les marques. « Les grandes entreprises combattent les systèmes de consigne et toutes les lois qui leur imposeraient des contraintes. Elles laissent toute la responsabilité aux consommateurs. S’acheter une bonne conscience en sponsorisant une association ou une journée du nettoyage, ça ne peut plus suffire». Gerry Farrel a remporté un succès d’estime, mais ses créations restent des curiosités cantonnées à quelques salles d’exposition, loin de la diffusion massive de leurs alter-egos commerciaux.

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