Imaginez un monde où l’élite dominante, tout en prétendant combattre l’Ignorance, ferait en réalité tout pour la propager. Dans ce monde, la culture servirait à neutraliser les masses (= toi, moi, nous) en étouffant dans l’œuf l’idée même de révolte collective. Ce serait le monde de l’Enseignement de l’Ignorance. Ce monde, c’est le nôtre.
Ces lignes constituent le résumé officiel de l’adaptation en spectacle vidéo-musical par Seb Lanz, artiste avignonnais, de l’un des essais les plus importants de l’œuvre du philosophe Jean-Claude Michéa, L’Enseignement de l’Ignorance. « Un coup de poing » : c’est ainsi que Seb Lanz a vécu la lecture de l’essai du philosophe montpelliérain. On pourrait en dire presque autant de cette adaptation en spectacle vidéo-musicale. Interloqués par l’affiche, les spectateurs ont pu découvrir cette œuvre lors d’une représentation au théâtre des Carmes à Avignon dans le cadre du festival Off. Cet été, Seb Lanz remet le couvert.
C’est quoi, l’ignorance ?
Et si, en réalité, la baisse du niveau scolaire dans notre société actuelle, loin d’être l’antithèse des réformes mises en place depuis plusieurs années, était la conséquence voulue par celles-ci ? Et si la réduction de la capacité de bon nombre de nos contemporains à avoir un regard critique sur notre monde et à remettre en cause le système était souhaitée par les élites dirigeantes ? Et si, pour consolider leur mainmise sur notre société, ces dernières cherchaient à faire disparaître ce qui permet à un être humain de prendre son destin en main et d’écrire l’Histoire à son tour, la connaissance ?
En mettant en scène L’Enseignement de l’Ignorance au sein de l’association DDCM qu’il a lui- même fondée, le metteur en scène, musicien et comédien avignonnais s’attaquait à deux défis importants. Premièrement, comment adapter pour la représentation scénique un texte qui, à l’origine, n’est pas destiné à l’être et secondement, comment faire pour conserver la radicalité du texte et la transmettre le mieux possible aux spectateurs? Deux défis que ce spectacle vidéo-musical a largement relevé.
Soit une œuvre tantôt drôle tantôt ahurissante, dont la principale fonction est de surprendre le spectateur en l’ouvrant à l’univers de la critique: « C’est ma tâche de mise en scène que de soutenir l’attention du public par le pouvoir comique extraordinaire dont je dispose avec des comédiens comme Héléna et Fred. C’est une des clés du propos. On ne peut faire passer un truc aussi énorme que « l’élite maintient la masse par une junk culture dans l’ignorance » que si l’humour nous ouvre la porte du pardon de cette horrible chose. »
Un spectacle à découvrir au festival d’Avignon cet été, qui étonnera aussi bien les convaincus que les néophytes.
« D’un côté, bien sûr, nous découvrons chaque jour davantage que le « mouvement qui abolit les conditions existantes » – autrement dit le capitalisme – conduit l’humanité à un monde écologiquement inhabitable et anthropologiquement impossible. Mais de l’autre, nous prenons également conscience qu’il ne sera possible de s’opposer à ce mouvement historiquement suicidaire – ce qui veut dire, tout simplement, de sauver le monde – que si, et seulement si, les générations qui viennent acceptent de reprendre cette résistance à leur compte. »
Jean-Claude Michéa
À voir :
Programme officiel du spectacle sur le site du théâtre le Pandora où il sera joué cet été :
Les dominants ne prétendent même plus tellement combattre l’ignorance. Les bibliothèques municipales et les musées nationaux reçoivent des directives pour qu’ils se conforment au goût du public : ils ne doivent absolument plus avoir une ambition d’enrichissement culturel, une telle ambition étant considérée comme « discriminante » (terme exact employé). On demande aux bibliothèques d’acheter moins de livre sur l’art ou la philosophie mais plus de mangas ou de romans de gare ; aux musées de ne pas parler d’artistes que le grand public ne connaîtrait pas mais de faire des expositions autour du football ou de la sous-culture américaine ; aux monuments historiques de ne plus mettre en valeur leurs qualités transcendantes mais leur côté « fous-en moi plein la vue », et de justifier leur ouverture au public par des expositions de soi-disant artistes contemporains, expositions qui sont d’autant mieux notées par le pouvoir qu’elles détruisent la valeur artistique et culturelle du lieu.
Merci beaucoup pour votre commentaire et pour vous intéresser au travail de vulgarisation de l’œuvre de Jean-Claude Michéa qu’effectue Seb Lanz et son association 🙂 . Pour poursuivre sur l’enseignement de l’ignorance ( ou « tittytainment » dont je vous invite à découvrir tout de suite la définition ), je vous recommande vivement le film « My dinner with Andre » de Louis Malle. Pour ce qui est des mangas, le fait qu’on en trouve plus dans les bibliothèques de nos jours au détriment de livres sur l’art, la philosophie et l’Histoire ( autre cible préférée du « tittytainment » ) est incontestable. Toutefois, excusez-moi au cas où je me tromperais mais je trouve cela dommage car, d’un côté, cela revient à cataloguer le manga comme outil pour enseigner l’ignorance alors que ce n’est pas sa fonction première. Le manga est une variante de la bande-dessinée et cette dernière, comme le cinéma et tous les autres arts, peuvent être utilisée à la fois pour enseigner l’ignorance mais peut en même temps être utilisée pour, au contraire, appelé les êtres humains à la connaissance, à la curiosité, à vouloir comprendre davantage comment fonctionne vraiment notre monde et à la prise en main de leur destin. Ce spectacle vidéo-musicale en est le pur exemple. Sans lui et sans sa présence à Avignon, bon nombre de personnes, y compris moi, n’auraient jamais découvert l’œuvre de Jean-Claude Michéa. Mais, dans le même temps, j’ai également découvert à Avignon des spectacles qui étaient l’antithèse de ce dernier. Comme l’a écrit lui-même Michéa, c’est aux générations à venir, c’est à dire nous et celles et ceux qui viendront après nous, qu’ils incombent de lutter contre l’enseignement de l’ignorance 😉 .
J’avais déjà vu des articles sur le livre de Michéa mais j’avoue que je ne l’ai pas lu. Je ne sais pas précisément ce qu’il avance et je parle surtout de ma propre expérience qui est que la principale arme de l’enseignement de l’ignorance est le relativisme. Le fait d’aimer comme vous les mangas est honorable, mais les mettre sur le même plan que les œuvres des philosophes ou des grands noms des beaux arts est destructeur de la pensée. Moi j’adore Hergé et Édith Piaf mais je ne les mets pas sur le même plan que Picasso ou Sartre que j’apprécie moyennement. La philosophie et l’Art demandent un effort de contemplation et de réflexion qui amène l’homme à se dépasser. Il y a de belles manières humaines de s’exprimer et on a raison de s’en réjouir et d’y voir un trésor, mais c’est l’honneur de l’homme, et du Chrétien en particulier, de chercher à aller au-delà, vers une transcendance, au-delà même de l’intelligence. Ni Piaf ni les mangas n’ont besoin des institutions publiques pour toucher les gens. Les bibliothèques et les musées n’ont pas été créés pour mettre à la disposition des gens ce qu’ils ont déjà l’habitude de fréquenter, mais au contraire pour leur permettre de découvrir ce qu’ils auraient du mal à avoir l’idée de chercher par eux-mêmes. C’est ce qui faisait leur valeur d’enseignement.
L’idée qu’on impose aux bibliothèques est : « Les jeunes aiment les mangas, donc il faut leur en proposer. » Alors que leur vocation éducative imposerait plutôt : « Les jeunes aiment les mangas, donc il est inutile de leur en proposer. » L’enseignement de l’ignorance, c’est d’abord empêcher les gens de sortir de leur habitude par peur que cela leur permette de prendre de la hauteur.
Excusez-moi d’avance si je me trompe mais e crois qu’il y a eu incompréhension.
À aucun moment je ne contredisais votre commentaire dans ma réponse. Je suis entièrement d’accord avec vous. La réduction d’ouvrages de philosophie ou d’art dans les bibliothèques est bel et bien une application du tittytainment qui cherche en effet à enfermer les êtres humains dans leur confort et leurs habitudes et le relativisme est une des armes favorites de ce dernier.
J’ajoutais seulement que les mangas, comme toutes les formes d’art existantes, pouvaient à la fois être utilisés pour propager l’enseignement de l’ignorance mais peut également être utilisés pour, au contraire, amener celles et ceux qui en lisent à la réflexion, à chercher à comprendre le monde qui les entoure et à prendre leur destin en main. Lors du dernier festival d’Avignon par exemple, en plus du spectacle vidéo-musicale de Seb Lanz, il y avait une pièce qui était joué dans un autre théâtre et qui, au contraire, défendait les différentes réformes scolaires de ces dernières années et en particulier celle de l’orthographe, sous prétexte que cette dernière était « discriminante ». L’art en tant que tel n’a pas pour objectif premier d’enseigner l’ignorance, se sont certaines personnes qui s’en servent à cet usage.
Dans la bande-annonce, il est dit que, pour les élites dirigeantes, l’ignorance se doit d’être enseigner à nos contemporains de toutes les façons possibles. Et bien, de la même manière, je pense qu’on se doit au contraire d’annoncer la connaissance de toutes les façons possibles, et le manga, comme toutes les autres formes d’expressions artistiques, peut être une de ces façons.
Certes, il y a des mangas dont la thématique rejoint les objectifs du tittytainment ( et j’en ai lu plein ) mais il y en a d’autres dont la thématique, au contraire, appelle le lecteur à rêver, à prendre sa vie en main, à chercher à comprendre le monde dans lequel on vit. Cela est également le cas avec le cinéma.
En m’excusant encore si jamais ma précédente réponse avait bel et bien débouché sur une incompréhension, je vous remercie pour l’attention que vous portez à cet article et au travail de Seb Lanz et je vous souhaite une excellente continuation 😉 .
Je suis absolument désolé mais nous sommes vraiment en contradiction. Pour parler net, un manga a beau être extrêmement créatif et intelligent, il reste toujours un divertissement, et le désigner comme « art » au même titre qu’un Picasso ou un Rembrandt participe du relativisme qui entend prévenir toute tentation d’aller voir plus loin que ce qui nous attire d’abord.
Je connais bien la réaction d’enfants ou d’adolescents devant des mangas ou des œuvres d’art. C’est seulement devant celles-ci qu’ils doivent faire un effort pour se dépasser, pour sortir de soi, condition indispensable pour entrer dans la contemplation et la réflexion, pour élaborer une critique constructive et une résistance réelle. Le cinéma et la bande dessinée sont en moyenne de bien meilleure qualité qu’il y a cinquante ans, et moins bêtes. Le problème n’est pas l’abêtissement des divertissements mais leur substitution à la vrai culture. Dans Google News, la rubrique « divertissement » est devenue la rubrique « culture ». C’est tout à fait significatif : ce qui était considéré comme culture par rapport au divertissement a disparu, enterré comme nocif au système.
Cher Monsieur,
Avant tout, je tiens à m’excuser d’avoir mis autant de temps à répondre à votre dernier commentaire. En fait, j’avais alors pensé que vous ne vouliez pas continuer ce débat et j’avais donc décidé de ne pas vous répondre. Toutefois, j’y ai récemment repensé et, avec le temps qui est passé, j’ai pensé que je pouvais à nouveau vous répondre et essayer de mettre un terme aux incompréhensions qui subsistaient dans votre dernier message et dont je suis sans aucun doute à l’origine n’ayant pas su bien expliquer ce que je voulais alors affirmer.
Premièrement, je n’ai jamais mis sur un pied d’égalité les mangas avec les œuvres de maîtres comme Picasso ou Rembrandt. Je suis d’ailleurs étonné que c’est ce que vous avez conclu de mes réponses. Je ne l’ai jamais fait tout simplement parce que ce serait idiot et absurde. En effet, comment peut-on mettre sur un même pied les œuvres de maîtres de la peinture avec celles de maîtres de la bande-dessinée dont le manga et une sous-catégorie et qui est aujourd’hui reconnue comme étant le 9ème art ? Je ne cache pas que l’on puisse s’inspirer de certains thèmes chers à des artistes dont l’art n’est pas le même que le nôtre et à moins qu’un grand maître eut œuvré dans différents arts ( tels que Michel-Ange ou Raphaël ), il serait difficile voire absurde comme je le pense de mettre sur un même pied d’égalité une bande-dessinée avec une peinture ou même un film avec une sculpture. Il est vrai que délaisser dans nos bibliothèques municipales des livres sur la philosophie et l’art au profit de bande-dessinées au caractère intellectuel peu élevé ( quand elles ne sont tout simplement pas abrutissantes est une grossière erreur et vous rejoint complètement.
Deuxièmement, je n’ai cherché, dans mes différents courriels, qu’à affirmer avec certitude car je connais le milieu du manga depuis plusieurs années déjà, que l’on peut également y trouver des œuvres au caractère intellectuel élevé. Excusez-moi si je me trompe mais la raison était que j’avais l’impression que, pour vous, les mangas étaient forcément des œuvres de divertissement qui pouvaient également avoir un caractère abrutissant. Permettez-moi de vous dire voire de vous rappelez que le manga est une sous-catégorie de la bande-dessinée au même titre que les comics américains et qu’au sein du 9ème art, au même titre que les 8 autres, nous trouvons de tout. Jean-Luc Godard disait à propos de sa passion pour le cinéma : « Avec le cinéma, on parle de tout. On arrive à tout. » Etan moi-même passionné par le 7ème art, je ne peux qu’affirmer que cela vaut également pour tous les arts. Ainsi, si nous trouvons des œuvres d’une grande beauté et au caractère intellectuel élevé, nous trouvons également des œuvres abrutissantes ou d’autres qui obéissent à une certaine vision du monde que certains artistes espèrent, peut-être, voir triompher et en témoignent, au cours de ces dernières années, certaines « expérimentations » faites dans l’art contemporain dont vous d’ailleurs justement parlé dans votre premier commentaire. Pour ce qui est du cinéma, et en particulier du cinéma français dont je garde personnellement un certain attachement aux films réalisés au cours de son âge d’or, j’ai remarqué ces dernières années que, même si nous trouvons également des œuvres d’une grande beauté et au niveau intellectuel fort, une certaine tendance à l’abrutissement ainsi qu’au nihilisme ( pour ne pas dire dans certains cas au vide le plus abyssal qui soit ) dans une bonne partie des films sortis.
Pour ce qui est mangas, cela va de même. En effet, même si certaines œuvres ont un caractère abrutissants ( et croyez-moi j’en connais certaines ), il y en a aussi au caractère intellectuel voire même humaniste élevé. Le problème, et vous n’y êtes pas responsable car c’est quelque chose que l’on trouve également chez des personnes qui se disent ouvertes d’esprit, c’est qu’en France une certaine conception du manga reste dominante ce qui est dommage car il existe également des mangas dits d’auteur qui sont plus que différents de la plupart des mangas qui sont édités sur le marché. D’ailleurs, il en existe dont je vous recommande la lecture si vous le souhaitez. Il s’agit de « Gen d’Hiroshima » de Keiji Nakazawa. Cela raconte le destin d’une famille japonaise à la veille, au moment même ainsi qu’au lendemain du bombardement atomique. Je reconnais ne l’avoir certes jamais lu en entier mais j’ai commencé à voir le film d’animation qui en a été adapté et j’en ai également lu quelques pages. Néanmoins, je peux sans craindre affirmer que cela appuiera ce que je vous ai écrit. D’ailleurs, au sein du monde de la bande-dessinée, cette œuvre a eu un impact tel qu’un auteur juif, Art Spiegelman à qui l’on doit « Maus » une des plus célèbres bande-dessinées sur la Shoah, a affirmé avoir été marqué par cette œuvre.
Dans cette réponse, je n’ai cherché qu’à vous montrer qu’en aucun cas je n’ai mis les mangas sur un pied d’égalité avec les grands maîtres de l’art que sont Picasso ou Rembrandt ainsi qu’à montrer que dans le manga, comme dans la bande-dessinée et tous les arts que l’on ne peut, à moins qu’il n’y ait certaines conditions, mettre sur un pied d’égalité il y a à la fois des œuvres de divertissement voire même des œuvres abrutissantes mais aussi des œuvres avec un important caractère intellectuel et humaniste. Et pour vous montrer que je ne suis pas en désaccord avec vous, permettez-moi de faire mention d’un exemple que vous n’avez pas cité. Il s’agit de la place que certaines œuvres contemporaines telles que « Harry Potter » par exemple ont pris ces dernières années dans les cours de Français au détriment des œuvres de notre patrimoine culturel.
Bien sûr, vous êtes libre de ne pas être d’accord avec moi mais si vous affirmez de nouveau comme quoi je mettrais des divertissements sur un pied d’égalité avec le plus grandes œuvres d’art, veuillez m’en excusez mais je me permets de vous dire qu’il ne s’agit ni plus ni moins de votre conception des choses et rien de plus.
Sur ce, et en espérant avoir permis de faire disparaître les incompréhensions qui subsistaient encore, je vous souhaite une excellente fin de semaine.
Cordialement,
Gouelan
L’enseignement de l’ignorance provient surtout des contradictions liées au syncrétisme entre le libéralisme et le marxisme. Le Libéralisme considère globalement l’éducation comme inutile, non rentable et surtout contraire à la primauté du désir qui pousse plutôt au divertissement infantilisant. Elle voudrait limiter l’enseignement aux seuls techniques professionnelles. En revanche, le marxisme voit dans l’éducation un moyen pour les classes populaires de ne plus subir le mépris des élites et leur tenant la dragée haute au plan intellectuel. Le problème est que les élites d’aujourd’hui sont libérales et donc complètement décadentes sur le plan culturel. Par conséquent, les enseignants qui restent toujours un peu marxistes tentent d’enseigner aux élèves une culture qui navigue entre la vulgarité commerciale et le snobisme de certaines élites du 6ème arrondissement parisien, avec un art moderne qui est une compétition de laideur et de vacuité, pensé pour être inaccessible à la sensibilité de toute personne de bon sens.