Être chrétien, on le sait, ce n’est pas défendre telle ou telle valeur ; c’est moins encore venir de telle ou telle famille ; ce n’est même pas aller à la messe. Être chrétien, c’est avoir une relation avec le Christ mort et ressuscité. Une pareille affirmation, toute vraie qu’elle est, a quelque chose d’un peu intimidant. Car que peut bien signifier pour les chrétiens ordinaires qui ne bénéficient pas d’apparitions surnaturelles, cette fameuse relation au Christ, sans doute fondamentale mais néanmoins bien mystérieuse ? Qu’est-ce qu’une relation avec une personne que nous n’avons jamais vue, et avec qui nous n’avons guère de conversation courante ? Pour les catholiques et les orthodoxes notamment, il y a bien sûr la relation objective que nous pouvons entretenir avec lui par les sacrements, mais n’évoque-t-on pas, quand on parle de « relation », quelque chose de plus personnel ?

Il faut pourtant s’y résigner : la connaissance humaine de la personne de Jésus, celle de ses amis, celle de Lazare ou des apôtres, ne nous est plus disponible. Ce n’est peut-être pas si grave : son visage humain a été, pour ceux qui l’ont vu de leurs yeux, autant un obstacle qu’un soutien. Nous n’avons pas à courir après cette connaissance-là par une reconstitution archéologique minutieuse ; cette connaissance historique, sans doute utile et passionnante, ne garantit pas de s’épanouir dans une véritable relation. Mais il s’agit moins encore de compenser les lacunes de notre contact en développant avec Jésus une relation affective imaginaire, comme si nous pouvions le connaître comme ses proches l’ont connu, pour y chercher un réconfort de nos affections blessées. « Toi, tu es un peu marié avec Jésus », me lance-t-on parfois comme pour me consoler du célibat religieux. L’affirmation n’est pas seulement maladroite ou baroque ; elle est surtout fausse. La relation au Christ ne fait pas nombre avec nos autres relations : on n’aime pas le Christ comme on aime ses parents, ses amis, sa fiancée, sauf à se raconter des histoires.

De quoi peut-il s’agir, alors ? Peut-être de reprendre les choses dans le bon sens : la question est moins ce que nous ressentons que ce que Jésus nous propose. L’important n’est pas notre regard sur lui, mais son regard sur nous. La relation avec lui est moins le fait de recherche et d’initiative que d’accueil : accueil de son pardon sans condition, de son intérêt pour moi, de son amour infini qui n’est pas une affaire sentimentale, mais le don de sa vie. Ils sont nombreux, dans l’évangile, ceux qui veulent voir Jésus ; mais seuls en sont sortis grandis ceux qui ont compris que l’essentiel n’était pas de voir, mais de se laisser regarder.

Ce texte est à retrouver dans le numéro 20 de la revue Limite.

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