« Pas de replâtrage, la structure est pourrie » avertissait, en Mai 68, un slogan tagué dans les rues de la capitale. La punchline était bonne, mais le programme, lui, ne faisait guère consensus. Que fallait-il mettre derrière cette invitation à tout casser ? Les exégèses divergent : pour certains, il s’agissait de rendre la « consommation accessible à tous » – en développant, par exemple, une célèbre chaîne de magasins de produits culturels et de matériel hi-fi. Pour d’autres, il fallait partir vivre au Larzac élever des chèvres. Chez les femmes ? Même dilemme. Derrière la féministe Antoinette Fouque, certaines s’attaquent à l’industrie pharmaceutique, encouragent l’accouchement à domicile et causent « écologie humaine » quand d’autres, sans doute plus friquées, hurlent dans les rues de Paris « hétéro-féministes = kapos du patriarcat ! ». Dans ces mêmes rues, le fameux « jouissez sans entrave » côtoie le moins célèbre « on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance ». À la campagne ? Les pères pensent tracteurs et syndicalisme quand leurs enfants, lassés par le bruit des machines, rêvent d’une « utopie agricole » inédite qu’ils fonderaient avec leurs copains des villes. En 68, il y a ceux qui célèbrent la fête du slip et ceux qui rêvent de pouvoir s’en payer un.

De toutes ces voix, l’écologie est celle qui est restée la plus actuelle et ne s’est jamais laissée démonter par les crises et les orages qui ont suivi le « joli mois de mai ». Dès les années soixante, l’écologie, celle que nous revendiquons, avait déjà tout dit et tout prévu : non, la croissance ne pourra être infinie dans un monde fini. Oui, le libéralisme comme système produit des effets contraires comme l’appauvrissement et l’individualisme. Quant à la sacro-sainte Technique, celle dont Jacques Ellul prophétisait qu’elle serait l’enjeu du siècle, elle n’est le plus souvent qu’une solution à un problème qu’elle a elle-même créé. Il y a presque cinquante ans, les écologistes du journal La Gueule ouverte associaient au désir d’une vie plus sobre, simple, l’angoisse devant la destruction en cours. Déjà, ils marchaient sur un fil, prudents mais déterminés, et ils savaient que désensabler des pavés ne ferait choir aucun système.

Cinquante ans après, nous voulons marcher sur cette même ligne de crête. Changer le cours des choses, ne plus penser « croissance », « individu », mais sobriété et communauté. Et si nous sentons que cette révolution est impossible, nous savons que le dépit et la résignation sont impensables. En somme, cette revue, depuis son premier numéro, essaye d’éviter les pièges contraires de l’aveuglement et du découragement. Nous suivons un mince filet d’eau qui court entre les pierres et il suffit à étancher notre soif.

Ce numéro hors-série donne la parole à ceux qui, devant le mot imprononçable de « révolution », laissent un temps mort, hésitent, doutent. Mais qui, comme soulevés par l’espérance, l’attrapent malgré eux. Parce qu’il n’est plus l’heure de tergiverser. Ce numéro est autant une plongée au cœur du tourbillon de Mai qu’une initiation à l’écologie intégrale. À l’intérieur, ni grincheux palabrant sur une autorité perdue, ni optimistes niais se figurant qu’avant 68 régnaient les ténèbres. Retape ? Non, souvenez-vous, la structure est pourrie. Impasse ? Non, regardez bien, chemin de traverse… Bonne lecture !

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Paul Piccarreta