Du 17 au 22 avril dernier s’est tenu à Lyon le XVIIe Colloque européen de science et théologie sur le thème « Dieu transcendant, Dieu immanent dans la nature ». Organisé par la Société européenne pour l’étude des sciences et de la théologie (ESSSAT) et l’Université catholique de Lyon, ce colloque fut l’occasion de faire le point sur l’opposition généralement entretenue entre foi et science. Mahaut Herrmann propose ici un compte rendu de ce colloque.

Selon Philip Clayton, professeur de philosophie des sciences de la religion à l’université de Claremont (États-Unis) : « Plus notre conception métaphysique de la transcendance et notre pensée sur Dieu incluent l’immanence (NDLR : c’est-à-dire la présence de Dieu dans le monde), moins il est difficile de prouver leur compatibilité avec la science ». Ces mots ont été prononcés le jeudi 19 avril lors de sa  conférence « L’univers ouvert : que pourrait nous dire l’émergence naturelle au sujet du divin », la seule de l’événement à être ouverte au grand public. Mais à en juger par l’affluence dans l’amphithéâtre Mérieux de l’Université catholique de Lyon, l’assistance est essentiellement composée de participants au colloque, à savoir une centaine de personnes venues du monde entier. Cela en dit long sur la situation du dialogue entre science et religion en France. En 2000, avait rappelé en introduction Thierry Magnin, recteur de la Catho de Lyon, la ville avait déjà accueilli un colloque « Science et théologie ». Les chrétiens français n’hésitaient alors pas à s’emparer du thème. Dix-huit ans plus tard, la situation est tout autre. Ce champ de la vie intellectuelle aurait-il été déserté par les francophones par crainte d’une trop grande technicité ?

Les six journées de rencontre (du 17 au 22 avril) au centre de Valpré, en proche banlieue de Lyon, ont montré une chose essentielle : même si de nombreux intervenants avaient une double formation en sciences et en théologie ou en philosophie, il n’y avait pas besoin d’être diplômé en sciences expérimentales pour comprendre l’importance des questions soulevées par les cinq conférences plénières et les courtes présentations. C’est heureux, car il a été souvent été question pendant le colloque des fondements d’une éco-théologie et d’un discours écologique chrétien. Quand l’astrophysicien Arnold Benz se demandait, lors d’une courte présentation, comment parler de Dieu à un physicien, des connaissances en théorie des cordes n’étaient pas requises pour suivre sa démonstration. De fait, les enjeux explorés tout au long du colloque concernaient la foi de tous les croyants monothéistes. Dieu, en tant que créateur de la nature, est tout autre qu’elle : il est donc transcendant. Est-ce à dire qu’il est extérieur à elle, comme absent de sa Création ? S’il est immanent, donc présent dans la Création, n’y a-t-il pas un risque de glissement vers le panthéisme ? Le thème du colloque de cette année offrait des éléments de réponse à une objection souvent opposée à des chrétiens affirmant leur foi en un Dieu créateur, celle qui assimile cette croyance à un créationnisme rejetant la description scientifique de la naissance de l’univers et de l’évolution des espèces et de leurs milieux. En pensant à la fois la transcendance et l’immanence de Dieu dans la nature, nous sommes invités à mettre des mots sur l’articulation de notre foi avec la théorie de l’évolution, et à comprendre le sens des récits bibliques de la Création à la lumière des acquis et théories de la science. Helen De Cruz, dernière intervenante des conférences plénières, a présenté ses réflexions sur l’admiration et l’émerveillement comme moteur du dialogue entre science et religion. Ce professeur associé de philosophie de la religion et des sciences cognitives à l’université Oxford Brookes a souligné que l’expérience de ces deux émotions était aussi bien religieuse que scientifique et émet l’hypothèse que des émotions traditionnellement associées à la religion puissent être ressenties aussi dans un contexte séculier, et que la science pouvait être ce contexte, ouvrant de nouvelles perspectives pour le dialogue.

En pensant à la fois la transcendance et l’immanence de Dieu dans la nature, nous sommes invités à mettre des mots sur l’articulation de notre foi avec la théorie de l’évolution, et à comprendre le sens des récits bibliques de la Création à la lumière des acquis et théories de la science.

Les rappels historiques faits par les intervenants ont aussi souligné que l’opposition supposée entre la démarche religieuse et la démarche scientifique n’était pas si nette, et que les pères de la science moderne étaient croyants. La démarche empirique d’Isaac Newton était ainsi soutenue par sa vision de Dieu – certes toute personnelle. Quant à Francis Bacon, il était redevable des travaux d’Ibn al-Haytham, musulman ayant vécu aux Xe et XIe siècles. Celui-ci, l’un des premiers à promouvoir une méthode scientifique expérimentale, considérait qu’il y avait une unité inhérente entre la religion et la science dans le Coran. Ces rappels sont malheureusement peu audibles en France, où l’incompatibilité entre la science et la foi est un préjugé ancré dans de nombreux esprits. Philip Clayton a d’ailleurs gentiment taclé son pays d’accueil lors de sa conférence en regrettant l’attitude qui, au nom des Lumières, refuse l’idée même qu’une personne intelligente puisse croire en Dieu et mettre sa confiance en lui. La thèse défendue par le philosophe américain lors de sa conférence est l’illustration d’un principe fondamental du dialogue entre science et religion : le fait que le discours théologique ne réfute jamais le discours scientifique. Pour Philip Clayton, le transcendant est intrinsèquement immanent dans la nature. Il existe un ordre de la nature et Dieu n’intervient pas pour le modifier, ce qui fait que les relations scientifiques de cause à effet sont suffisantes pour rendre compte des phénomènes d’émergence naturelle, mais il existe une réalité transcendante qui passe à travers le monde naturel et qui est comme le corps de Dieu. Cette réalité est quelque chose que le scientifique ne peut pas nier parce qu’il ne peut pas prouver qu’elle n’existe pas, mais il n’en a pas besoin pour rendre compte scientifiquement du monde. Cela le conduit à affirmer que, si on postule que la transcendance divine est compatible avec la science, alors l’immanence et la transcendance ne doivent pas être deux pôles opposés d’un spectre de la présence de Dieu dans le monde : la nature est alors auto-transcendante et le divin intrinsèquement immanent. En effet : « Si les théologiens se contentent d’affirmer qu’il y a une dimension profonde, une dimension transcendante de Dieu dont toutes les causes des événements naturels sont une part, alors ils ne sont pas en conflit avec la science », résume Clayton. Cela ne réduit pour autant le champ de la théologie : il reste toujours à essayer de comprendre ce que l’esprit humain peut percevoir de cette dimension transcendante.

La thèse défendue par le philosophe américain lors de sa conférence est l’illustration d’un principe fondamental du dialogue entre science et religion : le fait que le discours théologique ne réfute jamais le discours scientifique.

Écouter toutes ces interventions fait aussi prendre conscience que des interrogations théologiques simples en apparence peuvent se révéler infiniment plus complexes. Christopher Southgate, professeur à l’université d’Exeter (Royaume-Uni), a ainsi provoqué l’assemblée lors d’une plénière intitulée « Immanence, transcendance et gloire dans un monde darwinien ». Il pose la question suivante : « Les discours sur la gloire de Dieu et le monde naturel sont souvent trop romantiques. Ils convoquent les couchers de soleil, les cimes des montagnes. Mais il faut les confronter au mal. Le parasite du paludisme est-il un signe de la gloire de Dieu ? Est-il la preuve de l’inventivité divine ? » Le théologien et biochimiste travaille depuis plusieurs années sur le mal dans l’évolution et est l’auteur d’un livre sur le sujet, The Groaning of Creation (Le gémissement de la Création). De même, Clayton s’est interrogé : si la description scientifique du monde offre des signes de la transcendance de Dieu, ceux-ci sont-ils accessibles uniquement à des personnes déjà croyantes, de sorte qu’ils fonctionnent comme des biais de confirmation d’une croyance inaccessible ? Comment, dans ce cas, rendre ce discours accessible aux non-croyants ?

D’autres idées qui peuvent nous venir intuitivement ont été contredites pendant le colloque. Lydia Jaeger, professeur à l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne, docteur en philosophie, titulaire de diplômes en mathématiques, physique et théologie, a ainsi expliqué pourquoi le terme « création », connoté religieusement quand il est employé pour parler de l’univers, était fondamental, y compris dans la démarche scientifique, car il permet de respecter la liberté humaine dans un monde décrit par la science. Helen De Cruz a, pour sa part, mis en évidence le rôle de l’émerveillement et de l’admiration dans la démarche scientifique. Dans leurs autobiographies, Albert Einstein, Jane Goodall ou Rachel Carlson, pour ne citer qu’eux, ont insisté sur l’importance de ces deux émotions dans l’apparition de leur vocation scientifique. Plus récemment, des recherches en sciences cognitives et psychologie ont montré que les personnes qui ressentent de l’admiration sont moins susceptibles d’accorder de l’importance aux idées reçues, aux stéréotypes et aux clichés ; ou que les personnes dont les pensées se portent sur des choses inspirées par l’admiration sont plus critiques envers les argumentations et raisonnements présentant des faiblesses. Une autre étude montre un lien entre la disposition psychologique de l’esprit à être admiratif et les caractéristiques psychologiques d’un état d’esprit scientifique.

L’existence de tels travaux, à la fois exigeants et compréhensibles, est une invitation adressée à tous les croyants, et particulièrement aux chrétiens francophones, qui les ont quelque peu délaissés. Un discours théologique ou métaphysique sur « la science », ou sur n’importe quel élément du réel, a besoin de se confronter aux  connaissances scientifiques décrivant le sujet dont il s’empare. Ce n’est pas là de la spéculation éthérée réservée à des personnes vivant dans le monde des idées. La crédibilité du discours et des engagements chrétiens est à ce prix.