Suite de nos entretiens sur la grève ! Pour le sociologue et économiste Bernard Friot, la réforme des retraites change la conception anthropologique du travail.
« La question des retraites est une question de rapport des personnes au travail. Le travail a deux dimensions : une dimension concrète – je soigne, je lave, je conduis – et une dimension abstraite, comme activité productrice de valeur. Dans le capitalisme, nous sommes étrangers à ces deux dimensions et nous sommes nus par rapport au travail. Nous ne maîtrisons ni le travail concret, ni les grandes décisions sur l’investissement et le choix de notre production, qui ont trait à la valeur économique.
Nos personnes ne sont pas reconnues comme travailleuses. Pour qu’elles le soient, nous devons aller sur le marché du travail et y être performants. Nous serons alors reconnus comme travailleurs à travers un salaire ou un bénéfice, mais que nous sommes susceptibles de perdre à tout moment, si nous nous retrouvons au chômage ou en difficulté d’insertion. Beaucoup de jeunes n’ont pas droit au statut de travailleur et doivent multiplier les activités, souvent mal payées.
La retraite, dans le capitalisme, recouvre cette même réalité. À la retraite, le capitalisme considère que nous sommes sortis du travail et que nous ne serons plus reconnus comme des travailleurs jusqu’à notre mort. Comme les jeunes sont considérés comme futurs travailleurs, les retraités sont considérés comme anciens travailleurs. Nous avons seulement droit à des ressources qui ne sont que le différé de nos cotisations d’ancien actif : c’est le système de retraite par points voulu par Macron. Cela exprime l’étrangeté du travail à nos vies, le fait que le travail soit le monopole des capitalistes, qui décident pour nous si nous devons être reconnus comme travailleurs.
Au contraire, le régime tel qu’il existe aujourd’hui, qui couvre les trois-quarts des pensions, est un régime qui n’est pas la contrepartie de cotisations passées, mais la poursuite d’un salaire de référence. Il pose les retraités non pas comme d’anciens travailleurs, mais comme des travailleurs titulaires de leurs salaire. Ce qui ne veut pas dire que l’on est tout le temps au travail, mais que nous sommes reconnus – jeunes et vieux – comme des travailleurs en capacité et en dignité de produire. Nous ne sommes pas seulement utiles, mais productifs.
La réforme Macron veut changer le statut des retraités, les nier comme travailleurs, les cantonner à un statut d’anciens travailleurs. Elle veut supprimer toute référence au salaire dans le calcul de la pension. Cela revient sur une conquête majeure, qui a attaché le salaire à la personne, et non plus à l’emploi. L’enjeu est donc anthropologique : c’est le statut même des personnes qui est en jeu, notre rapport au travail. Nous ne devons pas accepter d’être considérés comme étrangers au travail, mais affirmer que le travail est immanent à nos personnes. »
Propos recueillis par Antonin Gouze
Limite vous offre de lire ou relire son dossier sur la grève.
En téléchargement ►ici◄.
- Fralib – Dix ans sans actionnaires - 05/30/1998
- Bernard Friot : « Un travail aliéné génère toujours du loisir aliéné » - 05/30/1998
- Michel Billé : « La vieillesse est l’âge de résistance » - 05/30/1998
Je ne comprends pas comment une revue qui s’appelle limite publie un appel au maintien du salaire de chaque travailleur qui est selon moi un maintien de l’inégalité. Cet article serait valable si tous les salariés gagnaient le même salaire, puisque c’est leur statut de travailleur qui prévaut. Allons jusqu’au bout: les individus étant égaux, les salaires devraient être égaux. On est loin du compte. En attendant, le rôle de l’état, donc de la solidarité nationalité nationale, n’est il pas plutôt de permettre à chacun de vivre décemment qu’il soit jeune ou vieux, actif ou non?
Je suis pour une pension de retraite de dignité pour tous. Un « minimum retraite ». Les personnes ayant eu la chance de gagner leur vie correctement ont les moyens, si elle veulent maintenir leur « niveau de vie » d’économiser sur leur salaire et d’anticiper. Parallèlement, un accompagnement de chacun a la gestion et à l’apprentissage de la sobriété dès la plus tendre enfance, serait un bon point pour sortir de la société de consommation qui enchaîne les individus à leur désirs et détruit notre planète. Bien a vous
« Nous avons seulement droit à des ressources qui ne sont que le différé de nos cotisations d’ancien actif : c’est le système de retraite par points voulu par Macron. »
Cette affirmation est inexacte.
Les retraites versées quand elles constituent un différé de cotisation, relèvent du système par capitalisation.
Le systèmes par répartition, qu’il sont par trimestres ou par points, financent les retraites versées aujourd’hui, aux « anciens travailleurs », par les cotisation des travailleurs actuels.
La démonstration qui nous est proposée postule que c’est le salaire qui donne le statut de travailleur. Elle laisse dubitatif.
Oui la retraite pose le problème de ce qu’est la personne quand elle ne travaille plus. Une réponse est apportée par ceux qui proposent que la retraite soit restreinte à ceux qui ne peuvent plus travailler… Ceux-ci postulent que c’est l’action et la fécondité de la personne qui fait sa dignité, et que quand ses facultés viennent à faire défaut, il faut un prévoir un palliatif pour seulement lui permettre de subvenir à ses besoins, palliatif qui ne règle pas la souffrance de sa plus grande stérilité ou de son inaction.
Rien ne pallie à cela. Certainement pas un « salaire » fut-il par financé par répartition.
Merci de remuer nos méninges et nos coeurs 🙂