Il y a quelques mois, toute la famille s’est envolée au Congo, pays d’origine de mon mari. Un projet d’« ailleurs » qui nous trottait dans la tête depuis longtemps, sans savoir si nous pourrions le réaliser un jour. L’occasion pour nous de constater que si l’écologie est loin d’être la priorité des Congolais, elle est pourtant une question cruciale. 

Récit et illustrations de Maria Moussaki

Il y a quelques mois, toute la famille s’est envolée au Congo, pays d’origine de mon mari. Un projet d’« ailleurs » qui nous trottait dans la tête depuis longtemps, sans savoir si nous pourrions le réaliser un jour. L’occasion pour nous de constater que si l’écologie est loin d’être la priorité des Congolais, elle est pourtant une question cruciale. 

Un petit pays équatorial 

Le Congo, c’est un petit pays équatorial de 342 000 km2 et de 5,5 millions d’habitants, à ne pas confondre avec son voisin géant, la République démocratique du Congo (RDC), qui compte, elle, 89,5 millions d’habitants et 2,345 millions de km2. Brazzaville et Kinshasa, situées de part et d’autre du fleuve Congo, sont les deux capitales les plus proches du monde. Moins de huit kilomètres les séparent.  

Le pays est plutôt urbanisé, 62 % de la population étant concentrée dans les deux plus grandes villes du pays : Brazzaville, la capitale politique, et Pointe-Noire, la capitale économique. Mais il compte aussi de nombreuses zones naturelles protégées et fait partie, avec cinq autres pays d’Afrique centrale, du bassin du Congo, considéré comme le second poumon vert de la planète après l’Amazonie, même s’il a perdu 1 400 000 hectares entre 2000 et 20182. Ce bassin abrite la plus vaste tourbière tropicale du monde, zone marécageuse de 150 000 km, « qui stocke 30 milliards de tonnes de carbone [et] contribue à contenir les effets des changements climatiques ».[1] 

Ici, 47 %[2] de la population a moins de 18 ans, contre 20,5 %  en France, et les 65 ans et plus ne représentent que 2,7 %de la population, contre 20 %  en France. Il faut dire que des personnes âgées, on ne risque pas d’en croiser beaucoup, étant donné que l’espérance de vie ne dépasse pas 64 ans, contre 82 ans[3] en France. Presque 20 ans de moins. 

C’est donc un pays jeune, très jeune. Voir autant d’enfants et de jeunes dans les rues est vraiment impressionnant, quand on a l’habitude de vivre dans un pays occidental vieillissant. Pourtant, nombre d’entre eux n’atteignent jamais l’âge de cinq ans : 53 pour mille[4], contre 4 pour mille en France. Sans compter les femmes qui meurent en donnant la vie : elles sont près de 400 pour 100 000, contre 10 pour 100 000 en France. 

Une vie simple… 

C’est donc là que nous avons atterri.  

Drôle d’idée, me direz-vous… Pourquoi quitter un environnement confortable pour un pays rencontrant autant de défis, alors que tant de gens rêvent du chemin inverse ? Une envie de changement, un besoin d’imprégnation pour nos enfants culturellement métissés, un souci de transmission. 

En tout cas, c’est là que nous avons choisi de vivre depuis quelques mois, dans une grande parcelle où cohabitent une cinquantaine de personnes de tous âges. Une vie communautaire, loin des maisons individuelles et des appartements empilés les uns sur les autres. Ici, les gens cultivent la terre et font la lessive à la main, partagent un lit à plusieurs, cuisinent au feu de bois ou au charbon, sans appareils électroménagers, sans aspirateur, sans four. Ils se partagent un fer à repasser et quelques congélateurs. Ici, on se bat pour conserver les restes à l’abri des fourmis et de la moisissure, on s’habille avec des fripes occidentales revendues sur les marchés ou avec des vêtements faits sur mesure par les nombreux couturiers installés ici et là, qui ne disposent encore, le plus souvent, que de machines à coudre anciennes à pédalier. La plupart des gens n’ont pas de voiture individuelle et s’entassent, pour se déplacer, dans les taxis collectifs ou les bus. 

Ici, on se lave avec un seau d’eau. Pas moyen de rester des heures sous la douche ! On va chercher des dizaines de litres d’eau chaque jour à l’unique robinet disponible, au gré des diverses coupures d’eau. Depuis que nous sommes ici, nous mesurons à quel point l’eau et l’électricité sont précieuses et à quel point manquer de l’essentiel pousse tant de jeunes gens à tenter le tout pour le tout pour rejoindre l’Occident, surnommé le paradis. Car je peux vous dire que voir les heures et les jours passer sans qu’une goutte d’eau sorte de la pompe, c’est une sacrée source d’angoisse. Ça ne nous est arrivé qu’une fois, mais nous nous souvenons tous de nos réserves fondant comme neige au soleil et de la nécessité d’aller puiser à la rivière. Depuis, nous vérifions, dès l’arrivée du crépuscule, que notre trentaine de bidons de six ou dix litres soient toujours remplis, histoire de pouvoir tenir au cas où.  

Nous menons donc une vie simple, quoique plus confortable que beaucoup d’autres, tant dans la parcelle qu’en dehors : nous avons en effet la chance d’avoir deux pièces de 9 m2 mises à notre disposition. Une pour mon mari et moi, avec un lit, une armoire, une petite table, une chaise et un petit meuble de rangement. Une pour nos enfants, avec un lit superposé, une table basse et une chaise. Sous un préau à proximité, nous avons aussi une table suffisamment grande, qui nous permet de prendre nos repas tous ensemble, de jouer à un jeu de société, de dessiner, etc. 

Cette vie nous permet de redécouvrir la nature sonore et éclatante. Les lucioles, les grenouilles et les grillons, les étoiles, les papillons et les chants des oiseaux bleus, noirs, jaunes, violets, verts ou rouges et les chèvres qui se baladent font désormais partie de notre quotidien. 

Une vie « écolo », au sens occidental du terme ? 

L’empreinte écologique des Congolais est quatre fois moins importante que celle des Français[5]. C’est un point très positif, mais qui risque de disparaître si le niveau de vie augmente. 

Cela semble assez logique, étant donné tout ce que j’ai déjà décrit plus haut. De fait, beaucoup de Congolais n’ont pas de smartphone, d’ordinateur, de micro-ondes, de lave-vaisselle, de lave-linge, de sèche-linge, etc. De plus, beaucoup de produits peuvent se conserver sans réfrigérateur, comme le poisson salé ou la viande fumée, que l’on peut trouver sur les marchés, et un certain nombre de personnes ont encore des connaissances fort utiles sur l’usage des plantes pour se soigner. 

Par ailleurs, si le tri et le recyclage ne sont pas organisés ni systématisés, nombreux sont ceux qui recyclent des emballages pour leurs besoins personnels. Ainsi, des bidons d’eau deviennent des abat-jours ou des pots pour les semis, des boîtes de sardines se transforment en petites voitures, des bouteilles en plastique recueillent du bissap ou du jus de pommes sauvages pour ensuite être vendues dans la rue.  

Notons aussi que les bouteilles de bière ou de soda sont en verre pour la plupart. Consignées, elles sont récupérées et réutilisées. Une pratique systématisée dont la France pourrait s’inspirer ! Enfin, l’usage des sacs plastiques, que les enfants d’avant transformaient en cerfs-volants, est interdit depuis 2011 et, même s’il en subsiste ici ou là, la plupart des sacs de courses sont donc en tissu léger. 

Cependant, ces habitudes de consommation relativement écologiques risquent de disparaître avec l’augmentation du niveau de vie, souvent synonyme de mimétisme et de recherche de confort à l’occidentale : « Quand j’étais enfant », témoigne un proche, « on ne consommait pas autant de lait, de pâtes, de produits en sachets et de bouteilles de jus en plastique. On privilégiait le manioc, les tubercules, les tisanes de citronnelle. On avait du savon solide pour la lessive, un fer à repasser à charbon et des latrines sans chasse d’eau qui étaient vidées quand c’était nécessaire. » 

En ce qui nous concerne, notre empreinte écologique est plus importante que celle des Congolais avec qui nous vivons. Tout d’abord parce que nous avons pris l’avion pour venir. Ensuite, parce que nous buvons de l’eau en bouteille, à cause de la qualité médiocre de l’eau. Nous la remplaçons le plus souvent possible par de l’eau bouillie, mais ça consomme aussi de l’énergie : celle d’un petit réchaud à pétrole dans un premier temps, puis d’une bouilloire électrique achetée dans les semaines qui ont suivi notre arrivée pour nous simplifier la vie. N’oublions pas non plus le ventilateur pour supporter la chaleur certains jours, les médicaments que nous consommons régulièrement, et nos téléphones et ordinateurs, que nous devons très souvent recharger. 

Une gestion des déchets problématique 

Le gros problème ici, outre la pollution industrielle, l’omniprésence du plastique et la surpêche chinoise qui prive de poissons les petits pêcheurs congolais, c’est la gestion des ordures. 

Je me souviens d’un précédent voyage, il y a quelques années. Nous avions pris le car pour rendre visite à la famille. Une cousine nous accompagnait. À un moment, elle a jeté ses déchets par la fenêtre. Indignés, nous lui avons fait remarquer qu’elle pouvait les mettre dans une poubelle. Sa réponse reste gravée dans ma mémoire : « Mais pourquoi ? Qu’est-ce que j’en ferai après, de cette poubelle ? » De fait, la collecte des ordures est quasi inexistante, moins de 5 % des détritus solides étant enlevés[6].  

Alors les déchets sautent aux yeux. Ils envahissent les rues et les collines. Parmi eux, beaucoup de sachets individuels en plastique de lait en poudre, de sucre ou de lessive qui sont monnaie courante, étant donné leur coût relativement abordable.  

Quand nous sommes arrivés dans la parcelle où nous vivons, nous avons demandé où nous pouvions mettre nos déchets. On nous a indiqué un endroit en pleine nature au sein de la parcelle. Gloups. Certes, ils sont rassemblés au même endroit, mais personne ne viendra les récupérer… Plus moyen de s’en débarrasser, de les garder hors de notre vue, de les oublier. L’idéal serait de vivre le zéro déchet, mais avec quelles connaissances et quel matériel ? Trouver du bicarbonate de soude est un exploit ici, on n’en trouve qu’en petite quantité à un prix très élevé, car le Congo, à l’image d’une île, importe énormément de produits : le café vient d’Inde, le lait vient d’Irlande ou de Malaisie, la mayonnaise vient des Émirats arabes unis… 

À cette gestion des déchets problématique s’ajoutent une urbanisation anarchique – avec son cortège de défis comme l’érosion et l’insalubrité –, mais aussi l’importation de vieilles voitures branlantes et crachotantes récupérées en Europe[7], ou encore l’utilisation massive de groupes électrogènes fonctionnant au pétrole, tellement les délestages sont fréquents. Il faut dire que la nuit tombe à 18 h, et que passer la plupart de ses soirées dans le noir, ce n’est pas très drôle. 

L’écologie, un non-sujet ? 

L’écologie devrait permettre de concilier respect du vivant et mieux-être des populations. Mais comment fait-on quand le bien-être n’existe pas, quand « être » est déjà compliqué ? 

Car la plupart des gens ont bien d’autres soucis en tête. 52,5 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, parfois dans des cabanes en tôle sans eau courante ni électricité. Alors le sujet, le combat quotidien, c’est de rester en vie. Se nourrir. Si possible se soigner… Et lutter contre le paludisme, qui représente 70 % des consultations médicales et entraîne un fort absentéisme scolaire et professionnel, tant il est fréquent d’en être atteint plusieurs fois par an. S’informer vient après, d’autant plus que téléphoner et naviguer sur Internet coûte cher, très cher.  

Il y a aussi toute une frange de la population qui s’en sort, mais en se battant pour la vie quotidienne, sans pouvoir penser à demain.  

Parce que le revenu mensuel moyen ne s’élève qu’à 100 000 FCFA, soit 150 euros, alors que le coût de la vie est, en comparaison, relativement élevé. À titre d’exemple, on dépense facilement deux euros par personne et par jour pour une nourriture basique : avec ça, vous pouvez avoir deux petits pains, deux œufs, deux bananes, deux oignons, deux petites tomates, deux carottes, un sachet de lait individuel et un peu de sucre. C’est tout. Une alimentation plus ou moins équilibrée représente donc un budget minimum de 300 euros par mois pour une famille de cinq personnes… 

Parce que beaucoup de diplômés ne trouvent pas de boulot par manque de relations, que des informaticiens se retrouvent chauffeurs de taxi, que les retraités ne sont payés qu’un mois sur quatre, que les enseignants et les soignants, souvent mal formés et pas toujours payés non plus, cherchent ailleurs et délaissent le public. Me croirez-vous si je vous dis que des expatriées préfèrent payer un aller-retour en France juste pour faire une échographie, et qu’aucune n’accouche ici ? Pourtant, les cliniques et les cabinets privés pullulent. Quant aux écoles privées, elles poussent comme des champignons, mais pour quel résultat ? Le niveau semble catastrophique (seulement 30 % des élèves du primaire ont le niveau de compétence requis en mathématique et 40 % en français) et les entreprises internationales, dépitées, embauchent des expatriés ou des locaux formés ailleurs dans le monde. Les jeunes rêvent d’ailleurs. États-Unis, Canada, Europe… Tout plutôt qu’ici, pour avoir un avenir. Combien reviendront ?  

Vous comprendrez aisément que, dans ce contexte, l’écologie ne soit pas une priorité, ni même un questionnement.   

Quant aux Congolais les plus riches, car oui, il y en a, ce sont de grands consommateurs, calquant leur façon de vivre sur le mode de vie européen, voire états-unien. On peut ainsi voir des baraques extraordinaires, des 4×4 rutilants, des restaurants et des hôtels luxueux, des jet skis sur le fleuve Congo ou la côte atlantique… N’oublions pas que le Congo est un pays pétrolier et forestier, riche d’or[8] et de nombreux minerais. Dans certaines familles, l’argent coule même à flots. Enfin pour l’instant, car que se passera-t-il quand tout aura été foré et que l’or noir ne sera plus ? 

Un peu d’espoir 

Une prise de conscience écologique semble néanmoins en marche, dans ce pays qui dispose d’un « arsenal législatif relatif à la protection de l’environnement […] entré en vigueur dès avril 1991 »[9], d’un programme national d’action pour l’environnement (Pnae) depuis 1996 et d’un ministère de l’Environnement, du développement durable et du bassin du Congo. L’État congolais coopère actuellement avec l’Agence française de développement sur un programme d’utilisation durable des terres et a participé activement au sommet One oceansummit, qui a eu lieu à Brest en février 2022.  

De fait, « le pays a développé un soft power dans le domaine de l’écologie et du green business […], ce qui le range parmi les États les plus proactifs du continent sur les questions de développement durable. […] Les choses commencent […] à bouger […], avec une inédite fermeté. [Depuis août 2017, la ministre de l’Environnement…] s’est attachée […] à rappeler aux entreprises concernées le b.a.-ba de la législation sur l’environnement, à laquelle elles sont censées se conformer. […] Après cette phase de rappel, la ministre est passée [début 2019…] à l’étape de “mise en garde”, en se rendant sur les sites industriels. » 

Reste à espérer que cette prise de conscience soit réelle, qu’elle aura des répercussions concrètes et que les Congolais pourront un jour sortir la tête de l’eau et s’emparer de ces questions, individuellement, familialement et collectivement. 

Marie


[1] « Congo-Brazzaville : soft power écolo vs industrie polluante », Jeune Afrique, 3 septembre 2019

[2] « Quelques données clés sur le Congo », Rapport Unicef 2021

[3] drees.solidarites-sante.gouv.fr

[4] donnees.banquemondiale.org

[5] https://data.footprintnetwork.org/#/ https://www.afdb.org/sites/default/files/documents/projects-and-operations/rapport_sur_lempreinte_ecologique_de_lafrique_-_infrastructure_vertes_pour_la_securite_ecologique_en_afrique.pdf

[6] « Le Recyclage : une opportunité pour une gestion durable des déchets en République du Congo », 2021, PNUD, https://www.cg.undp.org/content/congo/fr/home/news-centre/blog/Blog.html

[7] « L’atmosphère de Brazzaville pollué par les voitures importées », 2003, Alcède Moumbou et Jean-Valère Ngoubangoyi, https://journals.openedition.org/vertigo/4853

[8] Vous pouvez même venir rencontrer des chercheurs d’or si vous le souhaitez : des orpailleurs artisanaux, qui travaillent à mains nues, avec leurs pelles, leurs seaux et leurs pompes à eau. Comme dans le Far West à l’époque de Jack London…

[9] « Congo-Brazzaville : soft power écolo vs industrie polluante », Jeune Afrique, 3 septembre 2019