Universitaire, ancien député européen, et président d’honneur de France Nature Environnement, Jean-Pierre Raffin dénonce un angle mort de la presse chrétienne : les pionniers chrétiens de l’écologie, qui bien avant Laudato Si ont prêché dans le désert industriel. C’est l’occasion de leur rendre justice.

« Les vrais hommes de progrès ont un profond respect pour le passé. » (Ernest Renan)

A l’heure où il n’est question que du devoir de mémoire et de souvenir ;

A l’heure où le Pape François dans Fratelli tutti (2020) rappelle l’importance de la conscience historique (§ 13) ;

A l’heure où la France faisant mémoire reconnaît enfin l’abjection de son gouvernement dans l’abandon des harkis en Algérie en 1962 (et de certains « pieds-noirs », j’en sais quelque chose, j’y étais militaire appelé) ;

A l’heure où, à propos, de catastrophes naturelles (les inondations), La Croix (12 octobre 2021) rappelle l’impérieuse nécessité de garder en mémoire les événements passés ;

A l’heure, où, au moment de la COP 26, de Glasgow, l’on apprend que dès le début des années 1970, Total savait parfaitement quels seraient les effets de la combustion des hydrocarbures fossiles sur le climat de la planète (comme l’avait déjà pronostiqué le suédois Svante Arrhénius au début du XXème siècle…) mais s’est bien gardé d’en faire état. (Au même moment, d’autres, notamment celles et ceux qu’avait réunies le Centre Catholique des Intellectuels Français en 1971 lors d’un colloque intitulé « La nature, problème politique », évoquaient publiquement le rôle de la combustion des combustibles fossiles dans l’augmentation de la teneur en CO2 de l’atmosphère et les conséquences sur le réchauffement climatique et faisaient part de leur inquiétude…)…

Je ne comprends pas.

Je ne comprends pas que le quotidien (La Croix) et l’hebdomadaire (La Vie) que je lis régulièrement, pour y être abonné de longue date, occultent systématiquement ou n’évoquent qu’en trois ou quatre mots expédiés, les réflexions et actions des laïcs qui, pour sensibiliser le peuple chrétien à la « question écologique », se sont bougés les fesses bien avant Laudato si’.

Ils subissent ainsi une double peine…Alors vus avec quelque dédain (tout comme d’ailleurs le mouvement politique des Verts) par une bonne partie du monde catholique et de certains organes de presse, qui ne leur accordaient guère d’attention, ils sont maintenant ignorés au moment même où le vert est très tendance … Il est amusant de constater que les mots « écologie » et « vert » qui provoquaient un haut-le-cœur dans une partie du monde catholique et de sa presse deviennent maintenant, dans ce même monde, le nec plus ultra. L’on a pas souvenir que la vertitude du « Greening of the church (1990) de Sean Mac Donagh ou du Pour un christ vert (2009) de Jean Bastaire ait suscité le même engouement…

Il est par ailleurs étonnant que les journalistes s’inspirant de certains auteurs écrivent que l’Eglise (sous entendue, catholique) ou les églises ne se sont mobilisées que tardivement sur la question écologique (cf. par exemple : Eglises et écologie, une révolution à reculons de C. Monnot et F. Rognon (2020) ; Théologie de l’écologie. Une Création à partager de F. Euvé (2021) ; La nouvelle théologie verte de C. Monnot et F. Rognon). Ce dernier ouvrage préfacé par le patriarche Bartholomée 1er , annoncé comme une réflexion sur « le contenu écologique de l’éthos chrétien » et la « vie (…) de l‘Eglise » contient, surtout, des réflexions sur les mondes protestant et orthodoxe, au demeurant fort intéressantes. Le monde catholique n’est que très brièvement évoqué. A titre d’exemple le pape Jean-Paul II qui, pourtant, tout au long de son pontificat, s’est maintes fois exprimé, sur les questions écologiques, n’est cité que deux fois dans les 236 pages de l’ouvrage, en quelques mots, « pour avoir manifesté son intérêt » pour « les questions environnementales » et « avoir consacré François d’Assise comme saint patron des écologistes ».

Une volonté de ne pas voir ?

Il est curieux que dans ces ouvrages, quelles qu’aient pu être leurs réflexions et actions, les « sans grades » laïcs catholiques français, soient singulièrement absents. Mais théologiens et philosophes s’intéressent-ils à l‘agir des sans grades ? C’est, par exemple, pour la France, la Commission sauvegarde et gérance de la Création, instituée en 1991 au sein de Pax Christi et devenue Antenne Environnement et modes de la Conférence des Evêques de France, en 2002 , à l’origine de campagnes développées avec divers mouvements de jeunesse. Dans le monde protestant seul A. Rocha est brièvement évoqué. Pour les auteurs référents de La Croix et La Vie et pour leurs journalistes, il semble que sous le terme « Eglise », il n’y a, surtout, que des clercs, des théologiens estampillés. Il en va d’ailleurs de même de l’attitude à l’égard de scientifiques qui sans confesser une foi particulière ont inscrit leurs réflexions dans une spiritualité, une éthique dont l’on ne voit pas pourquoi elles seraient considérées comme sans intérêt.

Je prendrai un exemple. Dans l’article de La Vie (n° 3975. 4-10 novembre 2021) consacré à « l’écologie intégrale » l’on se serait attendu à ce que soient citées les réflexions de François Bourlière, René Dubos, Frank Frazer Darling et Marion Clawson (1968) où il était question de « L’homme et ses écosystèmes : l’objectif d’un équilibre dynamique avec le milieu satisfaisant les besoins physiques, économiques, sociaux et spirituels ». Le programme L’Homme et la Biosphère (MAB) fut ensuite lancé en 1971. N’était-ce pas une formule similaire à celle du « tout est lié » de notre cher Pape François ? Par ailleurs, le débat sur l’usage du terme « écologie intégrale » m’amuse dans la mesure où, dès le mois d’août 2015, je m’interrogeais sur sa pertinence (cf. Ecologie intégrale. 25 ans après l’Appel de Klingenthal. Marc Feix et Frédéric Trautmannn (ed). ERCAL Publications, 2021).

Dans La Croix (n° 42152), à propos de divers thèmes dont la conversion à l’écologie, il est stupéfiant de ne trouver aucune allusion aux propos de Jean-Paul II (La Paix avec Dieu créateur, la Paix avec toute la création. 1er janvier 1990), où il était fait état de « la crise écologique : un problème moral », de « l’urgence d’une solidarité nouvelle » (lien entre environnement et « lutte contre les formes structurelles de la pauvreté, etc.). Le pape n’y appelait-t-il pas à une « conversion authentique dans la façon de penser et dans le comportement » ? Dans ce dossier, Jean-Paul II, qui, néanmoins, s’était exprimé en de multiples occasions sur divers aspects de « la question écologique » n’est, d’ailleurs, pas une seule fois cité !

Alors est-ce être un vieillard obsédé que de s’obstiner à vouloir rappeler que l’Eglise n’est pas constituée que de certains clercs et de théologiens estampillés cultivant l’entre soi et qu’il y a eu un avant Laudato si’. Si je ne craignais pas d’être trop long, je citerai, les auteurs laïcs, les théologiens et philosophes, les actions menées « occultés » par les auteurs qui ont eu la faveur de La Croix et de La Vie dans les dossiers récents précités.

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