Fondée il y a deux ans, la Maison Sainte Angèle Merici accueille au milieu d’un grand parc, à Poissy, sept jeunes laïcs, étudiants ou jeunes pros, désireux de mener une vie communautaire dans l’esprit de Laudato Si. Loin de tout séparatisme, entre le potager, la paroisse, la vie pro, les HLM voisins, la fraternité est un défi quotidien. Témoignage à plusieurs voix.

Illustration de Bertille Mennesson

Pourquoi avoir fondé ou rejoint cette coloc ?

Mayeul : Ce qui nous a poussé à fonder la Maison Sainte-Angèle, c’est la volonté de mener une vie fraternelle et communautaire comme jeunes chrétiens, dans l’esprit de Laudato Si’. Cela passe par les quatre lieux de relation qui fondent l’écologie intégrale du Pape François : la relation à Dieu, aux autres, à la Création et à soi. Pour nous, qui croyons que la communauté est l’un des lieux les plus propices à la relation dans toutes ses formes, cela se traduit entre autres dans une charte dont les quatre grandes parties sont : la vie fraternelle et communautaire, la vie spirituelle, la vie écologique et le rayonnement.

Capucine : Le confinement a été révélateur et m’a confirmé ceci : j’avais choisi le bon lieu pour demeurer. La nature et les relations. Aux confins d’un parc magnifique, on entend la ville au loin. Havre de paix, regarder les saisons passer, contempler la danse des étoiles et de la Lune, la course du Soleil, m’allonger dans les feuilles mortes. Avoir le cœur réjoui de voir nos premières salades, nos premières tomates pointer le bout du nez, s’éclairer à la bougie, travailler des chants ensemble, danser, rire, recevoir des amis, cuisiner ensemble, aimer, pardonner.

Comment vous situez-vous par rapport au reste de la société (levain dans la pâte, pas de côté, alternative radicale…) ? Autrement dit, « Dans le monde, mais pas du monde », vous le vivez comment ?

Capucine : Ces paroles de l’Evangile de Jean m’ont longtemps accompagnée. Avoir ce lieu expérimental est pour moi source de paix : je « reviens au monde » avec plus de douceur. Tant que dans mon quotidien je pose avec d’autres des actes d’écologie simples, j’accepte plus facilement les lieux dans lesquels on est animé par autre chose. Je ne cherche pas tant à m’extraire du monde que la manière juste d’y porter du fruit.

Au bout d’un an, qu’avez-vous pu mettre en place qui vous semble le plus prometteur, en interne et/ou en lien avec l’extérieur ?

Mayeul : Le plus prometteur à mes yeux est sans éclats vu de l’extérieur : nous réussissons tous les jours à vivre ensemble et faire tourner de mieux en mieux la maison dans les tâches très concrètes, malgré nos caractères et attentes si différents. Je crois que l’une des choses plus visibles, c’est que la création artistique est omniprésente dans la maison. Cela se voit dans la vie de tous les jours – couture, calligraphie, chant, écriture, dessin, vannerie … – mais aussi lors de ce que nous appelons les « soirées des talents » où chacun, librement, présente à la maison les numéros qu’il a travaillé pour l’occasion. Ce sont de très beaux moments, qui marquent fortement la vie communautaire.

Je suis également très heureux de voir que les services à la paroisse se mettent en place pour cette deuxième année, notamment dans l’animation liturgique et la décoration des églises, ou dans l’accueil et le lien avec les personnes lors des confinements. Cela crée également de beaux liens avec nos prêtres qui, je crois, sont bien heureux de voir des jeunes s’installer et s’engager dans la vie paroissiale.

Capucine : Il y a un an, nous étions sept à ne pas nous connaître, à répondre présent à l’intuition de quelques-uns formulée dans une charte : la transition écologique se fera en communautés. Être en fondation est exigeant, surtout lorsque l’on se place en perspective des dérives sectaires contemporaines. Epreuve du temps, prudence, patience. Nous sommes un lieu de passage, d’évolutions. Un lieu doux qui fait avec les forces et faiblesses de chacun. Nous nous entourons de maîtres et d’amis bienveillants, dans la prière et la réflexion sur ce que nous souhaitons fonder.

Votre communauté a-t-elle quelque chose de politique ?

Alfred : Je pense qu’un des objectifs de la Maison est de permettre la croissance humaine de ses membres plus largement que ce qui est normalement proposé par la société pour les jeunes adultes. Cela implique deux choses. Premièrement, que la vie qui m’est proposée par le paradigme techno-capitaliste ne m’aide pas à m’accomplir intégralement (c’est un euphémisme). Deuxièmement, qu’il est bon que je vive au sein d’un corps intermédiaire alternatif qui puisse accompagner ce désir d’épanouissement en ordonnant un peu ma vie à ce qui est essentiel. En ce sens, la Maison est doublement politique. D’abord elle incarne une alternative à ce qui m’est proposé par la politique. Enfin, en son sein, nous organisons ensemble notre mode de vie, ce qui est la définition même du politique. La Maison est donc politique accidentellement de par la vacuité du système, et essentiellement de par la nature de son projet. 

Alexis : Toute communauté est politique. L’inverse n’est pas forcément vrai. La réponse à la question posée plus haut « pourquoi avez-vous fondé cette maison ? » répond en partie à la question qui suit, ce qu’Alfred vient d’évoquer : « pourquoi la politique ne permet pas un développement intégral de la personne ? ». Une des réponses à cette question complexe est assez simple : la taille des ensembles à gouverner. Il existe un seuil au-delà duquel la politique cesse d’être communautaire ; en d’autres termes, passé une certaine taille, la politique échappe à la mesure humaine. Car l’homme est un animal communautaire ; quelque chose de lui, par principe, se déploie dans la communauté. Nous en faisons tous l’expérience ici et c’est cette conviction qui nous pousse à organiser ensemble notre mode de vie pour lui permettre de conserver ce qui n’est plus possible dans les macrostructures que la politique entretient et contribue à créer : une dimension communautaire qui est le fondement de toute politique.

Que vous inspirent les débats actuels autour du communautarisme et du séparatisme ?

Alfred : Je pense que le communautarisme est une réaction malheureuse à la destruction des communautés au sens large du terme. Elles ne sont aujourd’hui généralement plus que des communautés de producteurs/consommateurs. En tant que personne, j’ai besoin d’une communauté dans laquelle je puisse grandir et porter du fruit intégralement. Lorsque la société exige de séparer la personne et le culte, la spiritualité et sa pratique, elle nous place dans un dilemme insoluble : dois-je cacher ce que je suis pour me conformer à ce que la société voudrait que je sois, ou dois-je m’affirmer en bloc et rejeter le moule que l’on voudrait m’imposer ? La situation française est particulière car au moule techno-capitaliste s’ajoute le concept de laïcité, parfois compris comme religion, avec ses temples et ses docteurs. Ce qui me désole, c’est que ces docteurs ne perçoivent pas la vacuité de ce qu’ils nous proposent en tant que projet humain intégral. Cela les amène à penser que les séparatistes manquent d’éducation ou de bonté, et les mesures prises sont donc infantilisantes ou répressives. C’est un débat stérile dans lequel je ne me retrouve pas. 

Qu’est-ce qui vous donne de la joie et de l’espoir en un monde plus juste (sans parler d’espérance, qui ne vient pas des hommes) ?

Arnaud : Si on regarde la marche du monde, on n’a que très peu de motifs d’espérer. Il me paraît aujourd’hui presque impossible de s’engager en espérant pouvoir réellement changer les choses. Cette situation est assez paralysante mais peut être dépassée. 

D’abord, notre capacité de compréhension et d’analyse est limitée, il faut accepter qu’au fond on ne peut pas vraiment comprendre ce qu’il se passe. Nous devons assumer que la marche du monde nous échappe en bonne partie. 

Nous pouvons donc accepter une forme de lâcher-prise sur ce qui nous dépasse tout en posant des choix de vie concrets et plus simples à notre échelle. Au fond, ce qui est à notre portée et impératif, c’est de cultiver une joie simple avec ceux qui nous entourent. 

Il ne s’agit pas de s’interdire de s’engager mais de pouvoir le faire en sachant ne pas y placer un espoir trop important et en gardant un regard bienveillant sur ceux qui essaient sincèrement, même maladroitement, de changer les choses à grande échelle. Le pire serait de tomber dans un cynisme désabusé, écueil de lâcheté. 

Capucine : Ce que reflète notre charte et ce que je suis venue chercher ici sont à mon sens les ferments d’une société plus juste : charité, prière quotidienne, soin des choses et des êtres, ouverture du cœur et rayonnement. J’ajouterais création artistique. Prendre soin du cœur de l’homme en colère. La première relation fraternelle est fratricide. Et Dieu donne sa bénédiction à Caïn. Je ne travaille pas pour un « monde plus juste » mais pour des cœurs réparés. J’aime les lieux de travail et transformation. Je crois que le cœur de l’homme chemine.

Paradoxalement, les mesures Covid protectrices sont sources de joie pour moi : plus de silence, plus de temps, moins de mouvement frénétique, plus d’espace intérieur, place pour l’attention à l’autre. Se poser la question : comment vais-je soulager la souffrance de mon frère, blessure béante que présente à mes pieds le mendiant ? Créons des lieux de transformation, de mouvement.

Alexis : La recherche d’unité et de sens qui est source d’inspiration féconde. La vie que nous menons ici n’a en soi rien d’exceptionnel mais elle fait exception. Et je sais que ceux qui passent ici, amis, famille ou voisinage, sont interpellés. Ce qui me remplit de joie, c’est que des lieux comme celui-ci voient le jour et offrent à ceux qui y passent le témoignage sans prétention d’une vie qui a l’homme ordinaire pour ambition.

Cet entretien est paru sous une forme abrégée dans le numéro 22 de Limite, dans un vaste dossier consacré au sépératisme. Vous pouvez retrouver ce numéro sur le site de notre éditeur !