Le courant personnaliste chrétien, soutenu par d’authentiques défenseurs de l’écologie intégrale, vient d’être éjecté de la primaire. Régis Passerieux, ancien cadre du PS et ancien maire d’Agde dans l’Hérault, n’a pas pu réunir les vingt parrainages de parlementaires nécessaire à sa candidature.
Pour le retour des années 30
Aux yeux du PS, le courant personnaliste trahit ce qu’est devenue la « gauche de gouvernement » : comment peut-on être raisonnablement personnaliste à l’heure du mariage pour tous et de la loi travail ? Ce n’est pas seulement une voix que l’on écarte, c’est un programme politique dont les bases idéologiques sont fondées sur des personnalités intellectuelles hors-normes. J’ai nommé Emmanuel Mounier, et les personnalistes gascons Jacques Ellul et Bernard Charbonneau. Autrement connus sous le nom de « non-conformistes des années 30 ». Ironie de l’histoire, en voyant la percée de François Fillon, la sauvagerie médiatique aura titré lourdement sur « le retour des années 30 » (Voir Politis, 23 novembre « Un Parfum d’années 30 »).
A Gauche, on s’en tiendra donc à rendre le capitalisme supportable, avec sa GPA éthique, son travail dominical et ses bus privés. A droite, on fera miroiter aux catholiques qu’il y a une « marge de manœuvre »…
Si seulement ! s’est-on écrié à Limite. Si les années 30 et ses idées d’autogestion, de critique de la technique et du « développement » avaient pu prendre le dessus dans le « débat ». A Gauche, on s’en tiendra donc à rendre le capitalisme supportable, avec sa GPA éthique, son travail dominical et ses bus privés. A droite, on fera miroiter aux catholiques qu’il y a une « marge de manœuvre » : Bruxelles serait soudainement plus compréhensif, et le dimanche, on pourrait faire ses courses « en famille », presque comme autrefois, presque comme à la bonne époque. Celle où près de 2 millions de mères n’étaient pas encore célibataires et ne devaient pas intensifier le turbin.
Les courants de fond
Nous avions interrogé dans ces colonnes les fondateurs du courant « Poisson Rose » lorsque paraissait leur livre programmatique A contre courant. Que disaient-ils en substance ? Que le combat politique doit porter sur « toutes les injustices à l’œuvre ». Et d’énumérer les cas emblématiques : « des conditions de travail de l’ouvrière textile au Bangladesh, à l’usine à bébé en Inde pour les GPA des riches, en passant par l’insertion professionnelle de chômeurs désespérés, tentés par le vote FN, la protection de l’enfant trisomique à naître, dont les glaciales statistiques montrent que 96 % sont avortés ou la personne précaire en fin de vie, dans un hôpital sous pression financière, à qui on fera croire que l’injection létale est l’ultime soin palliatif… ». En d’autres termes, c’est ce que nous appelons nous, à Limite, de l’écologie intégrale. Qu’un courant comme celui-ci soit écarté du débat est symptomatique d’une certaine confusion. Car il compte avec lui le réseau associatif français qui représente une majorité des chrétiens.
« 2017 n’a aucune importance ». Et ce quel que soit votre bord politique.
En somme, comme l’a déclaré Eugénie Bastié dans son éditorial du dernier numéro : « 2017 n’a aucune importance ». Et ce quel que soit votre bord politique. Il n’y aura pas de recul de l’Etat ventripotent, cette forme que prend le libéralisme dans une société fondée sur le droit et le contrat, et non pas sur le bien et la justice. Il n’y aura pas non plus de « solidarités locales », à l’ordre du jour. Car quel que soit les programmes politiques, la mystique de la croissance prévaut sur le reste, et annihile toute possibilité d’une remise en questions du système actuel.
Il est aussi symptomatique qu’une revue comme la nôtre (enfin, c’est aussi matériellement et spirituellement la vôtre), ressorte du four à pain des auteurs et des courants d’idées que l’époque s’acharne à écarter. Dans tous nos numéros, nous travaillons à faire resurgir cette pensée tue, dissimulée par la gauche libertaire, totalement ignorée par la « droite conservatrice » (dont on se demande, au reste, ce qu’elle veut réellement conserver). Les courants de fonds ne sont peut-être pas ceux qu’on affiche en Une des magazines. Gageons que ce soit là la bonne nouvelle de l’histoire.
« Ca suffit avec la justice sociale ! » Vraiment ?
A l’évidence, l’ambiance est au sauve-qui-peut. Chacun balaye devant chez soi. L’horizon libéral et celui de la fatalité ne font qu’un et l’on fait passer le cynisme pour du réalisme. Chez les chrétiens, certains ajoutent au triomphalisme arrogant. Voilà que devant un parterre de fidèles, un dominicain clamait, pas inquiété par l’énormité de son propos : « La justice sociale, ça suffit maintenant! Ce que veulent les cathos, c’est les valeurs ». Je ne sais pas trop ce que deviendra ce nouveau courant, qui est vieux comme le monde. Mais nous croyons ici, sans démordre, à une espérance renouvelée. Un an et demi d’existence nous le prouve : la revue Limite reçoit des lettres et des courriels quotidiennement, majoritairement brodés de ces témoignages qui illuminent votre ciel. L’un d’entre eux m’a tout récemment marqué, au point que je voudrais lui laisser le dernier mot. Éric est « agriculteur bio, éleveur de truie en plein air et de brebis en système sylvo-pastoral ». Il se présente comme chrétien, père de famille et grand lecteur de l’œuvre de St Exupéry . Il nous fait parvenir cette lettre, « ouverte à toute personne de bonne volonté » et qui « propose une lecture originale du problème de la détérioration de notre environnement, imprégnée du message évangélique » dont voici quelques extraits:
« Le deuxième mouvement (après celui , premier, de l’émerveillement et de la gratitude [NDLR]) est de comprendre que la dégradation de l’environnement trouve sa source au même mal que l’injustice sociale : notre avidité sans limite, révélatrice de notre peur de manquer, pousse les hommes à vouloir accumuler sans cesse davantage de richesse, comme s’ils cherchaient à remplir un puits sans fond. Si nous détériorons tant la nature et s’il y a tant de miséreux dans le monde, ce n’est pas qu’il n’y aie pas une part de biens matériels disponible pour chacun ; c’est que ceux qui en accumulent 4, 10 ou 20 parts pour tenter de sécuriser leurs peurs, prennent la part de ceux qui du coup n’en ont plus…[…] Nul besoin d’en accumuler pour trois ou dix ans d’avance … le Dieu fidèle sera encore à mes côtés, chaque matin, pour un jour de plus ! […]Il ne s’agit pas d’ascèse, de renoncement ou de morale : Après avoir ouvert nos yeux et nos cœurs, il s’agit d’ouvrir nos mains pour pouvoir recevoir et partager ! »
Merci pour ce billet, pour votre revue etc je me retrouve enfin dans « un courant (je ne sais comment le nommer ) » qui ne m’oblige pas à faire le contorsionniste avec mes convictions. Pour finir, la lettre de votre lecteur me fait penser à l’encyclique Laudato si, ce qui prouve (si certains en doutaient) que le St Père est bien au courant des réalités de notre monde.
La droite conservatrice, droite de la tradition, n’existe pas, il n’y a que des partis de gauche y compris le FN.
C’est la disparition de la tension entre tradition et progrès qui rend la société morbide.
Le progressisme dominant du progrès pour le progrès est une perversion de la notion de progrès, une liberté qui tourne à vide, un nihilisme.
Mais le conservatisme qui conserve pour conserver, entreprise de mise en conserves, est une perversion du conservatisme, une pétrification.
Le conservatisme ce n’est pas fondamentalement conserver « quelque chose », c’est préserver le lien à l’intemporel en conservant des formes culturelles non pour elles-mêmes mais parce qu’elles favorisent ce lien.
Il n’y a pas de conservatisme honnête que ne s’appuie sur le progrès et il n’y a pas de progressisme honnête qui ne s’appuie sur la tradition.
Dans une société saine il existe une tension interne chez les progressistes entre progrès et tradition et il existe la même tension interne chez les conservateurs.
Ainsi, l’opposition entre les progressistes et les conservateurs devient une tension civilisée faite de nuances.
Notre société du bien-être ne supporte plus la tension, c’est à dire au fond refuse la condition humaine.