Dans un livre plein d’esprit et de matière à cogiter, Les bons chrétiens, Jean de Saint-Chéron part en croisade contre notre tentation (et la sienne) à l’embourgeoisement : nos certitudes, nos impasses, notre confort, notre installation. Bref, notre refus de devenir saint.

Par Grégoire Hinterlang

« Hélas pour moi, qui ne rêve que d’être installé, Dieu m’a fait chrétien. » Puisque toute vie chrétienne devrait aspirer à la sainteté, s’assumer chrétien est d’une difficulté vertigineuse, devant laquelle nous disons modestement : « je ne suis pas un saint ». Bien souvent, cet aveu n’est pas la confession de l’humble qui ne se reconnaît pécheur que pour mieux s’élever dans la foi, mais l’abandon du « petit faiblard [et du] bourgeois tapi en [nous] », qui a conscience de tout ce dont il devrait se délester, du chemin de conversion qu’il devrait emprunter. Mieux vaut assurer ses arrières que de risquer de mourir sur une croix.

Première technique d’évitement : oublier que « la sainteté ne se joue pas dans un monde parallèle, mais dans le vrai monde peuplé de vrais hommes ». En reléguant Dieu à une abstraction, l’homme l’éloigne suffisamment pour qu’il n’interfère pas dans son confort – il peut ainsi s’aveugler face au malheur du monde et à la condition des hommes – tout en pouvant l’utiliser comme un moralisateur ou un prescripteur de valeurs. La foi devient alors une superstition – « l’espoir d’un tour de magie, bien exécuté, avec les bons gestes et les bonnes formules » – qui confondrait les actes de charité avec des phrases récitées par cœur. Or, Dieu est si incarné qu’il est descendu du ciel, a donné sa vie et se laisse manger par des pécheurs lors de l’Eucharistie. L’homme se complait dans ce spiritualisme sans chair, voire sans espérance puisqu’il n’attend rien du monde.

Deuxième technique : prétendre « construire son système de bonheur dans la nature et par la nature seule ». N’appréciant pas trop l’idée qu’il y ait un enfer, il voit en Dieu un « gros grand-père laxiste » et tolère tout, relativise la vérité, ajoute un astérisque à la sainteté (*voir modalités dans les églises participantes) et tente de se sauver lui-même. Or, nous rappelle l’auteur, « le salut de l’homme pécheur par l’homme pécheur seul est impossible » : les idéologies qui prétendent orgueilleusement s’autonomiser de Dieu nous conduisent droit à l’échec avéré (communisme) ou annoncé (transhumanisme) en tant qu’elles constituent un matérialisme sans espérance, voire sans chair lorsque le réel vient contredire l’idée.

Le combat du chrétien, nous dit Jean, « se joue dans la volonté même de l’homme, qui est une volonté malade », dans ce choix d’homme libre de se laisser convertir par Dieu afin qu’il réalise en nous ses œuvres, belles et joyeuses : le premier miracle du Christ n’a-t-il pas été de « [changer] sans trembler six cents livres d’eau en grand cru » ? Un bon chrétien est avant tout un bon vivant, et en fermant ce livre, on aimerait en discuter autour d’un verre avec l’auteur.

G.H.

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