Le mensuel La Décroissance organise le 14 novembre à Vénissieux (Rhône) un contre-sommet mondial sur le climat. Interviendront, entre autres, Thierry Jaccaud, Serge Latouche, Jean-Michel Besnier … Limite s’associe à ce conte-sommet , vraiment alternatif, décroissant, et pour la joie de vivre. Nous avons interrogé Pierre Thiesset, journaliste à La Décroissance et directeur de la maison d’édition Le pas de côté. Il nous présente ce contre-sommet  dans cet entretien fleuve dont nous publiions la première partie lundi dernier, et dont voici la suite. Un entretien réalisé par Mahaut Herrmann.

Parmi les collectifs indépendants qui se mobilisent pour le climat, il y a Alternatiba, plus visible médiatiquement que la Coalition Climat  21. Pourquoi ne vous joignez-vous pas à ce collectif ?

D’abord, il me faut faire une précision : La Décroissance n’est pas un parti ni une organisation qui se joindrait à des collectifs. Les rédacteurs n’ont pas de drapeau « La Décroissance » à agiter pour soutenir telle ou telle  manifestation. Nous faisons un journal, dont le rôle est de diffuser des idées, de proposer des analyses, des critiques, en nous efforçant de concilier l’exigence intellectuelle sur le fond avec un ton qui sur la forme est volontiers offensif, ironique, satirique, rentre-dedans. Les contributeurs de La Décroissance ont, en dehors de notre publication, des engagements politiques qui leur sont propres, dans les associations et collectifs qui leur tiennent à cœur.

Concernant Alternatiba, ces « villages des alternatives » connaissent certes un grand succès médiatique. Mais contrairement aux journalistes pressés, toujours en quête d’images spectaculaires de « nouveaux militants » festifs, je ne vois pas dans Alternatiba l’avènement d’un « nouveau mouvement social ». Des salons écolos qui proposent des débats et des stands pour consommer autrement, cela existe depuis des décennies dans toute la France. C’est certes utile, mais cela ne suffit pas à constituer une force politique. Et il suffit de lire la brochure Alternativez-vous, présentée comme le « support intellectuel » d’Alternatiba, pour constater que ce mouvement n’a pas l’intention d’être trop contestataire : cet alter-guide d’achat plein de bons sentiments demande d’« interpeller les dirigeants » pour qu’ils dégotent un bon accord contre les émissions de gaz à effet de serre, et incite à enclencher la « transition citoyenne » en compostant ses déchets, en vendant sur Le Bon Coin, en s’abonnant au magazine « 100 % positif » Kaizen ou en achetant des cosmétiques bio. Pas de quoi faire vaciller le capitalisme sur ses bases.

De plus, il y a un risque à tout miser sur les petits gestes individuels et la construction d’alternatives « par en bas ». Bien sûr, il est indispensable d’opter pour la simplicité volontaire, d’effectuer un travail sur soi et de chercher à construire des rapports sociaux libérés de la marchandise, ici et maintenant, si l’on désire vraiment se défaire de l’emprise de l’économie et de la technique sur nos vies. Mais, comme l’écrit Harald Welzer dans son livre Les Guerres du climat, « il est politiquement irresponsable de donner l’impression qu’on pourrait résoudre par des précautions prises individuellement des problèmes qui sont dus au principe économique de la croissance par exploitation des ressources ». Le mot d’ordre des Colibris, du « chacun fait sa part », peut parfaitement se couler dans l’idéologie libérale actuelle : comme s’il n’y avait pas de société, comme s’il suffisait de changer les comportements de consommateurs atomisés pour lutter contre le changement climatique.

Pour prendre un exemple parlant : ce n’est pas parce que 200 000 personnes achètent un panier dans une Amap pendant que 98 % de la population s’alimente en grande distribution que cela ressuscitera la paysannerie, aujourd’hui laminée. Il faut bien comprendre que le système technicien qui dévore nos milieux de vie constitue précisément un système, que le capitalisme est avant tout un fait social total dans lequel s’intègrent toutes nos existences. Il ne suffit pas d’additionner des « alternatives » pour en finir avec la société marchande et l’industrialisme. Il ne suffit pas d’opter pour des toilettes sèches, de laver son appartement avec du vinaigre blanc ou de cliquer sur une pétition Facebook pour sortir de cette cage de fer. Ni d’organiser une COP21, une COP22 ou une COP23. Nous ne pourrons pas nous épargner une remise en cause profonde de l’économie pour sortir de modes de production et de modes de vie insoutenables. Ce qui suppose d’assumer des antagonismes et des conflits : la crise écologique ne peut pas trouver sa solution dans le cadre du système capitaliste, qui a besoin de croître en permanence et de consommer toujours plus de matière.