Essayiste et fondateur de l’association et de la revue Casseurs de pub, Vincent Cheynet est depuis 2003 l’un des principaux promoteurs, en France, d’une écologie politique et radicale. avec La Décroissance, journal qu’il dirige, il a libéré le sentiment insurrectionnel qui sommeillait en nous tous. Vincent Cheynet est un homme discret. il ne donne jamais d’entretiens, surtout pas à des journalistes opérant pour des médias propriétés de marchands d’armes ou d’affairistes. C’est un puriste et, disons-le une bonne fois pour toutes, il a été l’un des principaux inspirateurs de cette revue. Cinq ans plus tard, nous avons voulu lui donner la parole. Extraits.

La question du numérique est aujourd’hui extrêmement importante. Comment s’organiser contre ?

En fuyant tant que possible tous les écrans, par exemple en lisant des bonnes revues et des livres sur du vrai papier ! Un conseil de lecture : La cyberdépendance : Pathologie de la connexion à l’outil internet du psychiatre Philip Pongy, sorti l’année dernière. « Le capitalisme est passé maître dans l’art de tout récupérer, y compris ses opposants les plus virulents. Prôner la convivialité sur Twitter, c’est renforcer la Silicon Valley. Parler décroissance à la télé, c’est servir la société du spectacle », lisait-on dans vos colonnes. On pourrait surtout ajouter que collaborer aux grands médias français c’est servir les intérêts des 10 millionnaires qui les possèdent.

Davantage que du « numérique », nous pourrions parler des écrans. Or, « l’écran fait écran » en premier lieu aux relations incarnées qui sont les vraies relations humaines intégrales. Tout nous précipite vers une dystopie à la Matrix. Quand des amis me disent « Tu viens au cinéma ? », je réponds invariablement « Encore un écran alors que je passe ma journée devant pour mon travail ! » Je me retrouve dans la position que nous dénonçons justement dans notre journal : celle d’un individu atomisé, n’entretenant plus que très peu de relations incarnées dans sa profession. Aussi, dès que je quitte La Décroissance, mon souci est de me consacrer à des activités débarrassées de prothèses numériques. Quel paradoxe ! Je suis passionné de canne de combat, de la langue italienne, je fais partie d’une chorale… Mais hélas ! voilà que le coronavirus met à bas ces activités simples et conviviales. Quelle tristesse… Cela est aussi vrai pour la vie du journal La Décroissance : le réseau créé notamment autour de l’expédition du journal aux abonnés est, crise sanitaire oblige, arrêté. Or je disais qu’il était à mes yeux quasiment aussi important que notre publication. Nous parlons de « technozombies » dans le journal. Un monde désincarné et numérisé est un monde de morts- vivants. Mieux vaut être un vivant mort en y ayant résisté.

Votre journal s’oppose à la PMA ainsi qu’à la GPA. En quoi ces questions relèvent-elles de l’écologie politique ? Comment expliquer que la majorité des militants écologiques n’ait pas ces positons ?

La formulation « Votre journal s’oppose à la PMA ainsi qu’à la GPA » me gêne. D’ailleurs Alexandre Penasse faisait dans son journal dernièrement un raccourci plus dur encore : « La Décroissance va donc surtout un pas plus loin dans la PMA qu’elle refuse pour tout le monde… » D’abord parce que le rédacteur en chef de la revue des objecteurs de croissance belges, Kairos, faisait ici référence à un texte de l’association Pièces et Main d’Œuvre.

La Décroissance n’est pas un parti et publie bien évidemment des textes avec lesquels nous ne sommes pas intégralement d’accord. La responsabilité des textes appartient aux signataires et non au journal. Même entre nous, au comité rédactionnel, nous avons de vives mais cordiales discussions. Je ne parlerai donc ci-dessous qu’en mon nom alors que d’autres membres du comité rédactionnel ne partagent pas ce point de vue. Ensuite, je ne suis pas sur le principe opposé à la PMA ; l’assistance médicale à la procréation a d’autres formes plus simples que j’approuve. Pour moi, le point de clivage fondamental n’est pas la technique, même si cette critique est essentielle, mais le refus du passage de l’enfant don à l’enfant droit. Il n’empêche, il est sidérant que le candidat des « écologistes » à la dernière élection présidentielle, Yannick Jadot, ait fait campagne avec comme slogan en haut de ses propositions : « PMA pour toutes. » Soit la promesse de faire rentrer toute la procréation dans le grand marché techno-capitaliste. Le Meilleur des mondes promu par les « écologistes », Huxley n’aurait pas anticipé mieux.

Personnellement, et ce n’est pas l’avis du journal, la clé me semble être le « mariage pour tous ». Même si tout le monde ne rêve que de mettre sous le tapis ce sujet, tellement il est dérangeant, nous serons toujours contraints d’y revenir. En créant une équivalence entre un couple potentiellement fécond (un homme et une femme en âge de procréer) et tous les autres (célibataires, homosexuels, personnes âgées, couples à trois, etc.), il a fait passer l’enfant de la catégorie du don à celle du droit. Le droit d’avoir deux parents de sexes différents lui étant parallèlement dénié. Comme l’esclavage, c’est une chosification de la personne, capacités techniques en plus. Nous entrons dans le cauchemar de la fabrication de l’humain, et même désormais, pire ; des hybrides humain-animaux, consentie par le politique.

La philosophe Sylviane Agacinski et tous ceux qui ont soutenu le mariage pour tous auront beau produire les travaux les plus intelligents pour alerter contre les conséquences de la marchandisation de la procréation et ses apprentis sorciers, type le professeur Jean-Louis Touraine, ils seront toujours réduits à « déplorer les effets dont ils chérissent les causes ».

Illustration de Nicolas Pinet.

Cet entretien complet est à retrouver dans le 20ème numéro de la revue Limite. Si vous appréciez la lecture de la première revue d’écologie intégrale, abonnez-vous ! Il n’y a pas de meilleur moyen pour nous soutenir.