Elles prennent soin des plus fragiles. Ce sont les travailleuses du lien, indispensables et pourtant précaires. Entre solitude et dévouement, ces femmes assurent le service, mais jusqu’à quand ?

TEXTE ET PHOTOS DE VINCENT JAROUSSEAU

Elles prennent en charge nos aînés à domiciles, ce sont les auxiliaires de vie sociale et les aides à domiciles ; elles s’occupent de nos jeunes enfants, ce sont les assistantes maternelles et les auxiliaires de puériculture ; elles assurent notre hygiène et servent nos repas à l’hôpital ou à l’EHPAD, ce sont les aides-soignantes et les agents de service hospitalier. Les femmes représentent plus de 90 % des « salariés du lien ». Elles sont aujourd’hui plus de trois millions, soit environ un emploi féminin sur quatre. En l’espace de trente ans, leur nombre a été multiplié par trois, contribuant ainsi à féminiser considérablement l’emploi dans la même période. Mais, une majorité d’entre-elles travaillent à temps partiel, avec des horaires morcelés, de fortes amplitudes horaires, des week-end d’astreinte et un salaire la plupart du temps à peine équivalent, voire inférieur au SMIC.

Malgré leur nombre et le caractère indispensable des tâches qu’elles accomplissent, ces professions de service aux autres demeurent invisibles. Comment en sommes-nous arrivés à construire une société dont le fonctionnement repose sur une large majorité de travailleurs de l’ombre ? Ce sont les transformations de l’économie qui ont fait naître le besoin de cette main d’œuvre de service. Jusqu’alors absentes des radars médiatiques, les choses semblent néanmoins évoluer depuis quelques années. Le mouvement des « gilets jaunes » a mis en lumière ces travailleuses.

À l’instar des salariés des transports et de la logistique, très représentés sur les ronds-points, les aides à domicile, aides-soignantes, infirmières et autres assistantes maternelles ont fait irruption dans le paysage, notamment au travers l’exposition médiatique d’Ingrid Levasseur, une aide- soignante, devenue  figure du mouvement. Les travailleuses du lien engagées chez les « gilets jaunes » ont porté de façon inédite leur condition sociale, notamment celle des « mamans solos ».

« Toute notre journée est minutée, entre les toilettes, les ménages, les repas à servir et les courses à faire, on n’a pas une minute à nous et encore moins le temps pour nous voir »

Séverine, auxiliaire de vie à Wignehies (59)

Plus récemment, avec la crise sanitaire, le caractère essentiel de leurs fonctions a commencé à effleurer les consciences. Lors de son allocution télévisée du 13 avril 2020, le Président de la République, Emmanuel Macron, reconnaissait que « notre pays tenait tout entier sur des femmes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal. » Mais depuis, que reste-t-il de cette soudaine prise de conscience ? La condition de ces femmes s’est-elle améliorée ? Ces métiers bénéficient- ils en fin d’une pleine et entière considération ? À l’exception des soignants dont le Ségur de la santé a tenté d’améliorer un peu les salaires (augmentation depuis annulée par la hausse brutale du coût de la vie), mais sans grand succès, les autres travailleuses du lien sont rapidement retournées dans l’oubli. Les plus surpris n’ont pas été les travailleuses elle-même, mais bien tous ceux qui avaient professé (reprenant inconsciemment l’imaginaire évangélique de Saint-Matthieu) que les derniers deviendraient les premiers et qu’il serait désormais plus facile d’être récompensée pour ses efforts. Mais voilà, c’est malheureusement plus compliqué qu’il n’y paraît que de considérer ces femmes à leur juste valeur au sein de la start-up nation.

L’occultation de ce monde populaire au féminin n’est en rien surprenante. Cela tient…

La suite du reportage est disponible dans la revue Limite n°26 « Débranchez le progrès » à retrouver en kiosque. 98p. 12€