Après la Coupe du Monde de football en 2014, le Brésil va a nouveau avoir tous les yeux braqués sur lui. Rio de Janeiro s’apprête à accueillir les Jeux Olympiques d’été du 5 août au 21 août 2016 et quelque 10 000 athlètes venus de 205 pays. L’envers du décor de la « cité merveilleuse » est loin de ressembler à une carte postale. Soucieuse de son image, Rio a décidé de mener des actions coups de poings. Pour les quelques millions de personnes qui vivent dans les favelas, le quotidien est rythmé par les démolitions. Premières victimes, les habitants de la favela Vila Autodromo expulsés pour laisser place à la construction du parc. Léonardo fait partie de ceux qui ont renoncé à leur foyer. En mars dernier, avec ses parents et sa grand-mère, ce jeune carioca de 25 ans a dû rejoindre le centre-ville. Notre correspondante à Rio l’a rencontré.

Ici, la favela a toujours été un modèle, aucun gang, peu de trafics de drogue. Le maire de Rio avait affirmé que vous seriez expulsé, pour finalement rétropédaler. Comment expliquer-vous ce retournement de situation ?

Léonardo Menezes : Quand la candidature de notre ville a été acceptée en 2009, le maire a annoncé que notre favela serait détruite et que nous serions relogés dans des logements sociaux, quelques mètres plus loin. Ce fut l’incompréhension totale car nos maisons ne gênaient pas le tracé des chantiers. Main dans la main, tous les habitants de la favela ont décidé de contre-attaquer. Nous avons proposé au maire une solution alternative imaginée par des experts. En 2013, à notre grande surprise, on nous annonce que l’on peut rester. On était serein, à tord. C’était sans compter les pressions continuelles émises par la municipalité pour nous faire quitter les lieux. En mars 2015, notre maire Eduardo Paes a signé un ordre d’expulsion des habitations. Cela fait des années qu’ils essaient de nous déloger, avec cette fois-ci le prétexte des JO. Il y a quelques jours, le maire a de nouveau fait savoir qu’il allait urbaniser Autodromo.

Selon vous, derrière cette volonté d’expulser les habitants des favelas, se cachent en réalité des intérêts financiers ?

LM : Les terrains autour du Parc Olympique, qui n’ont jamais intéressé quelconque investisseur, ont pris de la valeur et notre favela empêche les prix d’exploser. La route qui doit passer par ici aurait pu être détournée, mais face à la surenchère financière toujours plus démesurée à l’approche des JO, la localisation de la favela représente un fort potentiel immobilier et économique. Voilà la vraie raison qui motive les élus à vouloir « raser » la favela. Tout est une fois de plus une question d’argent. Le monde entier saura un jour que Rio a voulu cacher ses pauvres, et finalement, notre pays donnera une image bien triste au reste du monde…

 Quelles ont été les conditions de cette expulsion ?

LM : Pour éviter tout retard dans les travaux, et pour nous expulser le plus rapidement possible, la mairie de Rio a mis la main à son porte monnaie. Ma famille a reçu une proposition financière non négligeable. Plus de 200 personnes ont déjà été indemnisées à hauteur de 95 millions de Reais, environ 23 millions d’euros. On nous a promis que l’on allait être relogé non loin de la favela. Une promesse qui reste à ce jour non tenue. Mon frère Luis lassé de se battre, a refusé cet argent qu’il qualifie de sale, et a abandonné la favela, ou du moins ce qu’il en reste, pour vivre dans la rue. J’ai vécu avec lui quelques jours…

Comment avez-vous vécu votre départ?

LM : Déchirant. Je me souviens m’être retourné une dernière fois vers ma maison, avec un sentiment d’amertume. Quelques jours auparavant, en rentrant de l’université en fin de journée, j’ai découvert stupéfait ma maison à moitié coupée, détruite par les bulldozers. J’ai alors compris que mes parents avaient cédé à la pression subie depuis tant d’années en acceptant l’offre des pouvoirs publics. Cela devait arriver… Après réflexion, je ne leur en veux pas. Ils ont simplement préféré devancer la mairie plutôt que de subir la honte d’une expulsion du jour au lendemain. Vivre au quotidien sans savoir si l’eau allait être coupée, nous rappelait sans cesse que nous n’étions plus les bienvenus. Le climat était psychologiquement très pesant. Il régnait une ambiance de fin du monde. Mêmes les petits commerces locaux avaient fini par disparaître. Tous ces souvenirs n’ont pas de prix. On vivait peut-être humblement, mais au moins, on était heureux…