Tandis qu’il y a peu, la fin de la première manche du marathon de Noël sonnait, le round est désormais terminé et le 1er janvier remplace silencieusement le 31 dans ses draps encore chauds. Foie recherche répit !   
Malgré nos ventres encore lourds au lendemain de Noël, la Saint-Sylvestre, ses huîtres et son houx, nous faisaient déjà de l’œil. « Hello, raclette ou fondue pour le 31 ? », « je prends du foie gras ? » : les messages bienveillants arrivaient, mais avec l’envie parfois de refuser, pour échapper à la crise de foie. Toutefois, cela serait faire offense aux réputations culinaires et même gastriques de ces fêtes qui en sont devenues l’essence. L’effusion de publicité et de coups de communications ont rendu plus affriolantes les denrées même les plus rares, et surtout étonnement accessibles.  Camarades de routes en tout temps, en tout lieu et ce depuis la fin de l’été, ou je dirais même plus, depuis la fin de Pâques dernier, les promotions sont dans nos assiettes, mais à quel prix ?
Les congés de Noël sont à l’unanimité les plus fatigants mais cela sans rien faire, comble de l’ironie d’une paresse subie. Subie oui, puisque même si le plaisir et l’envie de manger sont là, tous sommes victimes d’une intempérance manifeste que la nature ne se prive pas de corriger. Noël, c’est manger.
Mais pourquoi les fêtes laissent-t-elles seulement en nous le souvenir d’une orgie familiale ou amicale ?

La jouissance de la nourriture ou l’hédonisme gustatif contemporain, en voilà la raison. Il ne s’agira pas ici de dénoncer le plaisir pour prêcher  une pénitence ardue et presque puritaine, puisque le plaisir de la nourriture est honorable, somme toute. Il s’agit de montrer que, derrière cette nourriture abondante, sont étouffés  les traditionnels mystères de Noël. L’opposition est probante mais force est ici de la rappeler : Noël originel, le Noël du mystère, le Noël essentiel, est celui de la pauvreté et du dépouillement. Pauvreté ne signifiant pas misère mais dénuement et le « dépouillement » n’étant plus,  d’après Google, que « l’ensemble des opérations permettant, dans un bureau de vote, de compter les bulletins de vote ».

Noël, la pauvreté de l’opulence ou l’opulence dans la pauvreté ?
La pauvreté de l’opulence, c’est finalement s’étouffer tristement dans des fêtes en en perdant le fil. Dédale mystérieux où le Minotaure n’est autre que la bonne dinde farcie. Se balader dans un supermarché relève presque de l’excursion touristique : pamplemousse d’Afrique du Sud, kiwis de République dominicaine, avocat du Costa Rica… C’est le carnaval dans l’assiette ! Baignant perpétuellement dans des leçons d’écologie, cela fait tâche. Mais pourquoi se priver de ces mets exotiques pour Noël puisqu’il y en a à la superette du coin ? Ah, c’est vrai, le « puisque je peux, pourquoi ne pas », une belle rengaine approuvée par le « jouissez sans entrave »… Qu’est-ce qui se cache derrière cette abondance ? Pour certains toutefois, un bon repas de fêtes entourés, pour d’autres de simples formalités ou encore, pour quelques uns, une fade solitude accentuée par les mirages de bonheur d’un monde assoiffant.
L’opulence dans la pauvreté, c’est à l’inverse retrouver le goût de la fête bien faite. Une simplicité fêtée dignement. Rien n’est condamné et la dinde peut être mangée, simplement dans un esprit différent. Les traditionnels treize desserts provençaux de Noël en témoignent : faire quelque chose avec peu : prendre ce que l’on a et le transformer. Ne pas chercher à épater avec de l’extraordinaire mais adoucir l’ordinaire, avoir et partager. Peut-être que pour certains, l’image d’Epinal se cache plutôt ici ; mais la simplicité ne peut se permettre de flirter avec l’illusion.

L’homme contemporain, de l’être à l’avoir
Finalement, le matérialisme contemporain illustre le rapport de ces fêtes à cette mangeaille. Sans jugement aucun, il en appelle par son nom à un glissement : l’homme, se définissant premièrement par ce qu’il est, fini par se définir par ce qu’il a. Parodiant Descartes, le « j’ai donc je suis » ne pourrait-il pas devenir le nouvel adage du monde moderne ? L’homme doit néanmoins toujours pouvoir se posséder lui-même face à l’objet de son désir, faire œuvre de raison pour ne pas céder à une quelconque violente passion. Baste les considérations métaphysiques, les fêtes en sont concrètement le signe : entre la liste au Père Noël écrite frénétiquement jusqu’à épuisement du stylo bic, et les menus sonnants et trébuchants certes très appréciables, des fêtes, le tableau est complet. L’homme qui possède n’est pas le plus riche. Alors jouissons oui, mais non sans un certain respect des entraves. Au risque d’être indigeste, à tous de joyeuses fêtes, bonne année et bonne santé.